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Vodyanoy : Les premières pages
Voici les deux premières pages de mon roman VODYANOY : LE LAC AUX LOUTRES, paru récemment aux éditions Carrefours azur. Bonne découverte!
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C’était la troisième fois ce mois-ci que ses parents lui faisaient la blague, en les comparant, ses chums et lui, aux zombies des films qu’ils appréciaient tant. Cela n’avait rien d’un mot d’esprit et l’analogie était un lieu commun chez tous les parents d’adolescents qui s’estimaient plus fins que leur progéniture. Pourtant, cette fois-ci, ils n’avaient pas tort. C’eut été peu dire que d’affirmer que ce gaillard-là avait l’air absent. Il vacillait, et pour causes : ses pantalons trop larges descendaient effrontément sous le niveau de ses fesses, elles-mêmes raidies par le vent hivernal qui se faufilait par tous les interstices et par toutes les négligences, et à cela il fallait ajouter la consommation d’un audacieux mélange de boissons dites énergétiques, d’alcool bon marché et de marijuana. Il dormait peu depuis deux ou trois mois, cela ne contribuait pas à la vitesse de ses neurones, et il vivait à une époque où les garçons semblaient estimer qu’un vague abrutissement exerçait un étonnant pouvoir de séduction chez les filles. Être graine de délinquant en 2016. Il n’allait toutefois pas trop mal virer, tout au fond il y avait même une sacrée lueur, et cette décadence était circonstancielle, exploratoire, temporaire. Mais là, en ce début de soirée hivernale, à s’éloigner de ses amis en errant dans le bois pour trouver un endroit serein où pisser, en période de redoux et donc les pieds tout mouillés, à s’éclairer maladroitement avec son téléphone portable, et complètement ivre — oui, il lui aurait suffi de susurrer « cerveaux... » et l’illusion aurait été parfaite.
Il se frayait un chemin entre les érables. Le boisé n’était guère dense, pourtant il n’avait pas vraiment besoin d’aller aussi loin — la plupart de ses potes ne se formalisaient pas et pissaient à proximité du feu. Mais à leurs taquineries, il répondait qu’un gars a le droit de se garder une petite gêne. Pour une raison ou une autre, quelque chose l’avait toujours intimidé dans le fait de faire ses besoins en présence d’autrui, il évitait même d’utiliser les toilettes à l’école... Aussi s’éloigna-t-il considérablement du campement improvisé, et quand enfin il ne put plus entendre ses amis râler, il se dit que c’était bon. Quelle idée, grommelait-il, boire dehors par un temps pareil... On a l’air d’une bande de pauvres !
Ainsi frustré, il décida d’uriner dans un seau accroché à un érable. Les plus grandes érablières avaient pour récolter l’eau de sève des systèmes de tuyaux reliant les arbres et activés par une pompe, mais certains habitants préféraient la méthode traditionnelle, avec de bonnes vieilles chaudières. Il en choisit une et allait-il ouvrir sa braguette qu’il fut saisi d’effroi.
Entre les arbres, à quelques enjambées de lui, une silhouette imposante l’observait.
L’adolescent laissa tomber son portable et n’y vit plus rien pendant un instant, instant de panique pendant lequel il se pissa à moitié dessus. Il se pencha pour prendre son téléphone dans la neige molle et fonça vers le feu.
Quand il y arriva, haletant, ses amis le fixèrent avec hébétude. Il se mit à raconter à toute vitesse ce qu’il avait vu, en ne cessant de jeter des regards apeurés derrière lui, en employant des bouts de phrases comme « méchante grosse ombre dégoulinante », et cela fit rire ses amis de plus belle. Ils mirent cela sur le compte de ce qu’il avait bu et fumé.
Mais lui frissonnerait encore longtemps.
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Fiche sur GoodReads : Vodyanoy : Le Lac aux loutres
Pour en savoir plus, visitez https://carrefours-azur.com/fictions/... .
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C’était la troisième fois ce mois-ci que ses parents lui faisaient la blague, en les comparant, ses chums et lui, aux zombies des films qu’ils appréciaient tant. Cela n’avait rien d’un mot d’esprit et l’analogie était un lieu commun chez tous les parents d’adolescents qui s’estimaient plus fins que leur progéniture. Pourtant, cette fois-ci, ils n’avaient pas tort. C’eut été peu dire que d’affirmer que ce gaillard-là avait l’air absent. Il vacillait, et pour causes : ses pantalons trop larges descendaient effrontément sous le niveau de ses fesses, elles-mêmes raidies par le vent hivernal qui se faufilait par tous les interstices et par toutes les négligences, et à cela il fallait ajouter la consommation d’un audacieux mélange de boissons dites énergétiques, d’alcool bon marché et de marijuana. Il dormait peu depuis deux ou trois mois, cela ne contribuait pas à la vitesse de ses neurones, et il vivait à une époque où les garçons semblaient estimer qu’un vague abrutissement exerçait un étonnant pouvoir de séduction chez les filles. Être graine de délinquant en 2016. Il n’allait toutefois pas trop mal virer, tout au fond il y avait même une sacrée lueur, et cette décadence était circonstancielle, exploratoire, temporaire. Mais là, en ce début de soirée hivernale, à s’éloigner de ses amis en errant dans le bois pour trouver un endroit serein où pisser, en période de redoux et donc les pieds tout mouillés, à s’éclairer maladroitement avec son téléphone portable, et complètement ivre — oui, il lui aurait suffi de susurrer « cerveaux... » et l’illusion aurait été parfaite.
Il se frayait un chemin entre les érables. Le boisé n’était guère dense, pourtant il n’avait pas vraiment besoin d’aller aussi loin — la plupart de ses potes ne se formalisaient pas et pissaient à proximité du feu. Mais à leurs taquineries, il répondait qu’un gars a le droit de se garder une petite gêne. Pour une raison ou une autre, quelque chose l’avait toujours intimidé dans le fait de faire ses besoins en présence d’autrui, il évitait même d’utiliser les toilettes à l’école... Aussi s’éloigna-t-il considérablement du campement improvisé, et quand enfin il ne put plus entendre ses amis râler, il se dit que c’était bon. Quelle idée, grommelait-il, boire dehors par un temps pareil... On a l’air d’une bande de pauvres !
Ainsi frustré, il décida d’uriner dans un seau accroché à un érable. Les plus grandes érablières avaient pour récolter l’eau de sève des systèmes de tuyaux reliant les arbres et activés par une pompe, mais certains habitants préféraient la méthode traditionnelle, avec de bonnes vieilles chaudières. Il en choisit une et allait-il ouvrir sa braguette qu’il fut saisi d’effroi.
Entre les arbres, à quelques enjambées de lui, une silhouette imposante l’observait.
L’adolescent laissa tomber son portable et n’y vit plus rien pendant un instant, instant de panique pendant lequel il se pissa à moitié dessus. Il se pencha pour prendre son téléphone dans la neige molle et fonça vers le feu.
Quand il y arriva, haletant, ses amis le fixèrent avec hébétude. Il se mit à raconter à toute vitesse ce qu’il avait vu, en ne cessant de jeter des regards apeurés derrière lui, en employant des bouts de phrases comme « méchante grosse ombre dégoulinante », et cela fit rire ses amis de plus belle. Ils mirent cela sur le compte de ce qu’il avait bu et fumé.
Mais lui frissonnerait encore longtemps.
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Fiche sur GoodReads : Vodyanoy : Le Lac aux loutres
Pour en savoir plus, visitez https://carrefours-azur.com/fictions/... .
Published on February 04, 2017 10:23
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Tags:
extrait, nouveautés, thibault, voydanoy


