Marie Pezé a ouvert la consultation "Souffrance et travail" à Nanterre en 1997. Pendant treize ans, elle y a reçu des patients aux profils les plus divers, auxquels elle donne ici la parole, invitant le lecteur à entendre l'extraordinaire impact du travail sur le corps, à être témoin, à ses côtés, du quotidien d'hommes et de femmes soumis au harcèlement, à l'emploi précaire, à la déqualification, au chômage : Agathe, aide-soignante, qui se ronge pour la sécurité de ses malades au point de sombrer dans la paranoïa ; Serge, cadre-sup', qui a besoin de se doper au travail pour se "sentir vivant" François, juriste d'entreprise, qui fait une tentative de suicide sur son lieu de travail parce qu'il n'y "arrive plus"... À travers ces récits cliniques, l'auteur dresse un constat terrible : les pathologies liées au travail se généralisent et s'aggravent ; l'hyper-productivisme est devenu la norme, fragilisant l'ensemble des salariés. Au-delà du cri d'alarme, Marie Pezé demande à chacun, victime potentielle ou proche de celle-ci (collègue, manager, médecin...) de prendre ses responsabilités face au déclin des "ressources humaines".
La force de ce journal réside dans le fait que par les histoires présentées, des concepts et théories qu'on entend tous les jours, qui sont peut-être vides de contenu des fois, gagnent enfin un visage:
- le sexisme et les discriminations dont les femmes subissent sur le lieu de travail - l'impact des rythmes de plus en plus alertes et des objectifs de plus en plus élevé pour les employées - la précarité qui oblige à accepter du travail vidé de sens, qui fait perdre l'estime de soi - la complexité des situations où, des fois, la complicité victime et harceleur présumé cachent derrière des problèmes plus graves d'organisation du travail dans l'entreprise et des méthodologies maladroites mises en place
Autant des thèmes de réflexion, pas pour tirer toute de suite des conclusions, mais pour générer plutôt un début de conversation.
À la fois récit émouvant, analyse précise, cri d’alarme, cet ouvrage est essentiel pour qui veut comprendre et lutter contre les troubles liés au travail.
Nous avons pu voir la question de la souffrance au travail traitée par un spécialiste du management, Robert Sutton dans « Objectif Zero sale con » ou encore un coach en entreprise, Martin Wehrle, dans « Je travaille dans une maison de fous – l’entreprise asile ». Ici l’analyse faite par une psychanalyste approfondit les conséquences sur l’humain, sans omettre d’en déterminer les causes et proposer des outils de détection et d’amélioration.
Alerte sur le front du bureau, de l'usine, du chantier ! Ne pas perdre les autres pôles magnétiques de nos vies au détriment de celui-là, voilà me semble-t-il ce qu'il faut retenir. Tant une fois que le mal est insinué, il semble irrémédiable ou presque. Retenir de ce livre-rapport une liste de symptômes successifs me semble bien peu raisonnable puisque le sujet même de la souffrance est par essence un être singulier, unique. Qu'avons-nous perdu de nous qui savait résister?