Quoi de commun entre George Bush, un Afro-Américain condamné à mort en Indiana, l’extrême droite française, la Fédération anarchiste, Le Figaro, L’Humanité, des stars de Hollywood et des intellectuels arabes anticolonialistes? Tous revendiquent Camus. Camus est partout, mais qui est-il? Colonialiste ou anticolonialiste? Pour ou contre la peine de mort? Résistant de la première heure ou personnage aux engagements ambigus et tardifs? Militant antifranquiste aux accents révolutionnaires ou antimarxiste de toujours? La plupart des ouvrages sur Camus, dithyrambiques ou à charge, ont en commun d’éluder les ambiguïtés du personnage. Brisant l’image du penseur aux propos définitifs, aux sentences humanistes apparemment inattaquables, ce livre propose une relecture de Camus dans le texte qui met ses contradictions au premier plan : car elles constituent la force motrice de son œuvre, une clé de son « style », et expliquent sa popularité actuelle. Oliver Gloag rappelle l’attachement viscéral – teinté d’humanisme – de Camus au colonialisme et au mode de vie des colons, qui traverse ses trois œuvres majeures : L’Étranger, La Peste, Le Premier Homme. Il examine ses engagements politiques à la lumière de sa brouille avec Sartre, auquel toute l’œuvre de Camus semble répondre : la tension entre révolte et révolution, son recours à l’absurde comme refus du cours de l’Histoire, son anticommunisme et son déni de la lutte de peuples colonisés. Enfin, Oliver Gloag se penche sur les récupérations de Camus : l’auteur le plus populaire en France et Français le plus lu dans le monde est devenu un enjeu politique et idéologique. L’invocation d’un Camus mythifié projette un reflet flatteur mais falsificateur de l’histoire coloniale. Elle permet de solder le passé à peu de frais et d’éviter de faire face à notre présent néocolonial. C’est ce Camus-là qu’il faut oublier pour reconnaître les déchirements d’un auteur tout aussi passionnément attaché aux acquis sociaux du Front populaire qu’à la présence française en Algérie.
Très convaincue par un parti pris de critique des usages idéologiques actuels de l'œuvre de Camus. Le livre fait la démonstration de l'écart qui existe entre les textes de Camus et ses prises de position historiques, et la lecture tronquée et orientée qu'on en fait systématiquement quand on le place en icône de causes qu'il n'a en réalité pas ou qu'à peine défendues. C'est dans l'analyse de ces écarts que le livre est super précieux, pour mieux comprendre Camus mais aussi au-delà pour analyser les manœuvres idéologiques à l'œuvre aujourd'hui dans les canonisations (et marginalisations corollaires) d'œuvres du récent passé français.
Un essai important. J'ai particulièrement apprécié le chapitre III, "Satre et Camus inséparables" et les passages sur le sexisme.
Mais certaines reflexions pourtant intéressantes ne sont pas convaincantes et desservent un peu le propos. Le glissement qui fait de La Peste un roman dans lequel l'allégorie principale ne serait plus celle de l'occupation allemande mais de la résistance du peuple algérien par exemple me semble assez étonnant. Le traitement des sources est aussi dérangeant et simplifié par moment.
Mais je recommande vivement une lecture, c'est rapide, abordable. La démystification du personnage est nécessaire et passe par ce genre de lectures.
Ce livre a tous les ingrédients pour énerver les Français qui refusent toujours de regarder leur Histoire en face : colonisation et collaboration. Je me rappelle d'avoir lu l'année dernière un recueil de textes de Camus, plutôt des discours, et ce fut un choc total, une déception. Finalement, Camus tel qu'il m'a été présenté, c'est un colonisateur, un raciste, et en plus un misogyne. Je me suis penchée pour voir s'il y a des gens qui pensent vraiment comme moi, mais en fait, nous ne sommes pas nombreux à avouer cette vérité sur ce personnage.
Je dois bien avouer que je suis -bien malgré moi- convaincu par la thèse de l'ouvrage : Camus apparaît tout de même en grand décalage avec son époque (pour autant qu'il soit considéré dans le camp de la gauche) et soit un sacré réactionnaire soit clairement ambigu dans son positionnement. Les éléments à charge sont suffisamment étayés pour ne pas pouvoir être balayés par une sympathie naturelle envers Camus. Surtout, la mise en avant de sa misogynie manifeste aura achevé de me convaincre. Je continuerai à apprécier Camus pour sa production littéraire, mais il est clair que la vision que j'avais de sa figure politique à considérablement évoluée. je recommande l'ouvrage.
Wow ce livre. Je m'attendais à rien en me lançant dans ce livre, mais il a chamboulé toutes les visions que j'avais de Camus. La première fois que j'ai lu sa biographie, j'avais trouvé des contradictions mais je n'arrivais pas à les expliquer. Ce livre a mis les points sur les i.