" Je suis une femme Phénoménalement. Femme phénoménale, C'est ce que je suis. " Maya Angelou De Sappho à Laura Kasischke, en passant par Emily Brontë, Sylvia Plath, Marina Tsvetaïeva ou Ingeborg Bachmann, du grec ancien à l'ukrainien, en passant par le polonais, l'hébreu ou encore le japonais, ce recueil réunit les poèmes d'une trentaine d'autrices du monde entier.
Si certains nous semblent familiers, beaucoup d'entre eux, pourtant essentiels, n'ont jamais été traduits en français ou sont aujourd'hui difficiles à trouver... Cette anthologie se propose de les mettre en lumière, rendant ainsi hommage à ces audacieuses poétesses et à leurs luttes pour " l'accession des femmes à la création et au savoir ".
Chose que je sais : 1) j’ai mis 10 mois à lire ce recueil 2) je n’arrive pas à lire de la poésie 3) non, mettre ce livre dans les toilettes pour que je le lise n’est pas une méthode révolutionnaire 4) je suis ravis d’avoir enfin terminé
J'étais très heureuse de trouver cette anthologie, qui m'a permis de magnifiques découvertes, dont je vous ferai profiter un peu plus bas. Le recueil est divisé en trois parties, avec des explications sur les choix de répartitions et quelques indications en début de livre sur les autrices.
Petits bémols toutefois ; d'abord, je trouve le titre un peu trompeur. En lisant des poétesses "du monde entier", je m'attendais à découvrir un peu plus d'autrices du continent africain. Seulement deux figurent dans ce livre, ce qui est bien dommage. J'aurais aimé, d'ailleurs, qu'il y ait quelques poèmes de Kristina Rungano, dont les oeuvres sont difficiles à trouver en France. Ses textes, exemples même de female gaze, auraient eu pourtant toute leur place dans un tel recueil.
Il est dommage aussi de ne pas avoir eu les textes originaux à côté.
Enfin, je ne sais pas quoi penser du choix des poèmes de Plath. Une chose est sûre, ils m'ont mis mal à l'aise. Ma première réaction a été de les trouver de mauvais gout, insultants même. Ce choix aurait nécessité d'être abordé, justifié, au début du livre, avec les indications, ce qui permettrait de mieux comprendre leur place et avoir les lunettes du contexte.
Voici une courte selection de mes découvertes préférées :
" Hommes stupides qui accusez la femme sans aucune raison sans voir que vous êtes l'occasion des choses que vous leur reprochez
si par un désir excessif vous sollicitez leur dédain pourquoi agiraient-elles bien si vous les incitez au mal ?
Vous combattez leur résistance et ensuite avec gravité vous dites que ce fut légèreté ce qu'a obtenu l'insistance.
De votre folle opinion l'intrépidité ressemble à l'enfant qui crie au loup et en est terrorisé. (...) "
Sor Juana Ines de la Cruz (1648-1695), le divin narcisse, traduit de l'espagnol par Florence Delay.
Ce poème m'a fait penser à la chanson "don't put her down, you helped put her there" de Hazel Dickens qui s'adresse aux hommes qui rabaissent les femmes qui se plient à des codes sociaux, comportements, servitudes... dont ils sont eux-mêmes responsables. Un petit extrait ici
" At the house down the way You sneak and you pay For her love, her body or her shame Then you call yourself a man And say you just don't understand How a woman could turn out that way "
Autres poèmes qui ont suscité mon intérêt :
" Mon corps te quitte goutte à goutte Mon visage te quitte en une huile sourde : mes mains te quittent en mercure échappé, mes pieds te quittent en deux temps de poussière.
Toute te quitte, tout nous quitte !
Ma voix te quitte, elle qui te faisait cloche fermée à tout ce qui n'est pas nous. Mes gestes te quittent, eux qui se dévidaient en navettes, dessous tes yeux. Et te quitte le regard qui apporte, quand il te regarde, orme et genévrier.
Je te quitte avec tes propres haleines : comme humidité de ton corps, je m'évapore. Je te quitte avec veille et sommeil, et déjà en ton souvenir le plus fidèle je m'efface. Et dans ta mémoire je deviens comme ceux qui ne naquirent ni en plaines ni en bosquets.
Si j'étais sang je m'en irais dans les paumes de ton labeur, et dans ta bouche de moût. Si j'étais tes entrailles, je serais brûlée dans tes pas que je n'entends jamais plus ; et dans ta passion qui résonne la nuit comme démence des mers seules !
Tout nous quitte, tout nous quitte ! "
Gabriela Mistral (1889-1957), Absence. Essart, La vague morte. Traduit de l'espagnol par Irène Gayraud.
" Le mot est tombé comme une pierre Sur mon coeur qui vit encore. Rien à dire. J'étais prête. Il faut bien vivre avec ça.
J'ai beaucoup à faire aujourd'hui ; Il faut tuer toute la mémoire. Il faut que l'âme devienne pierre. Il faut apprendre à vivre encore.
Mais non... Il fait chaud, l'été murmure, C'est comme une fête, là, dehors. Il y a longtemps que j'y pensais, A ce jour clair, à cette maison vide. "
Anna Akhmatova (1889-1966), Verdict, Eté 1939, Requiem.
" L'esclavage, je ne le supporte pas Je suis toujours je Quelque chose veut-il me faire plier Je préfère casser.
Vienne la dureté du sort Ou du pouvoir humain Me voici, ainsi je suis, je reste Et reste ainsi jusqu'à mes dernières forces.
C'est pourquoi je ne suis toujours qu'un Je suis toujours je Si je m'élève, je m'élève très haut Si je tombe, je tombe entièrement. "
Ingeborg Bachmann (1926-1973), Je, Poèmes de jeunesse.
" Certaines femmes épousent des maisons. C'est un autre type de peau : avec un coeur, une bouche, un foie, et des mouvements intestinaux. Les murs sont permanents et roses. Voyez comme elle est agenouillée toute la journée, se lavant de haut en bas avec docilité. Les hommes pénètrent de force, ramenés comme Jonas à l'intérieur de leur mère charnue. La femme est sa propre mère. C'est là l'essentiel ".
Anne Sexton (1928-1974), Femme au foyer, Tous mes chers petits, traduction de l'anglais par Sabine Huynh.
Et enfin, un de mes préférés :
" Mon poème est une cabine dans laquelle je me déshabille un rideau épais me séparant du monde extérieur
Confrontée à mon corps flétri j'envisage d'autres possibilités de vie je trace des cercles dans le ciel avec les éperviers je vois le monde d'en haut
Puis je me transforme en désert là où vie et mort se mélangent et où un sable charitable finira par me recouvrir "
Anise Kolz (1928), Je me transforme, Je renaitrai.
La poésie étrangère c'est exactement ce que j'aime et ce qui m'intéresse ! C'est donc une super anthologie pour moi, je suis ravie d'avoir découvert des poétesses et surtout de voir l'évolution de la poésie au fil des siècles. Je regrette toutefois qu'il n'y ait pas les textes dans leurs langues originales aux côtés des traductions.
Si j'ai beaucoup apprécié, j'enlève une étoile dû à l'ajout de deux poèmes de Sylvia Plath. Ces ajouts étaient un choix douteux.