À la mort de son père, Ariella Aïsha Azoulay découvre qu'il n'était pas un français naturalisé israélien comme il l'avait affirmé toute sa vie, mais un Juif algérien d'Oran, descendant de générations de bijoutiers. En deux récits autobiographiques, l'autrice déploie par fragments l'histoire de sa famille pour mettre en parallèle les colonialismes français en Algérie et sioniste en Palestine. Elle saisit nombre de continuités dans ces deux entreprises impériales, à commencer par le déni de l'identité maghrébine des Juifs d'Afrique du Nord et la destruction méthodique de l'enchevêtrement séculaire des mondes juifs, arabes et berbères.
Ce livre a tout : une partie plus théorique sur les ravages de la colonisation dans l'identité des personnes et populations, dans la langue, dans les arts et artisanats (et ce propos est si clair, juste et radicalement parlant !!! j'avais envie de tout annoter) puis une parole qui mêle cette pensée politique à un récit poétique sur son histoire personnelle et familiale (très beau) et enfin, une superbe mise en page.
Il faut absolument lire ce témoignage, l’autrice y parle de son héritage juif maghrébin poussé par la colonisation française à s’exiler en Israël, colonie des terres palestiniennes. Le sujet y est traité avec justesse, j’ai manqué de pleurer a de nombreuses pages
beau, à lire ; « je refuse d’oublier qu’à l’âge de dix-sept ans, la femme qui allait devenir ma mère ne pouvait plus être une Juive palestinienne. jeune mère poussée à intérioriser l’identité israélienne, il n’y a qu’ainsi qu’elle a pu m’élever. et même si c’est avec un grand retard, j’insiste : ma mère et moi sommes des Juives palestiniennes. »
"Ma langue maternelle était contaminée. Elle scellait ma bouche affligée. Elle émoussait la douleur - y compris maternelle - avec des mots. Au lieu d'écouter la douleur et avec elle de dire, ma langue maternelle l'exacerbait en parlant à sa place. L'hébreu avait été contaminé par les sionistes qui l'avaient épuré de ses attaches ombilicales à l'arabe, à l'amazigh, au yiddish, au ladino, au turc. La langue maternelle hébreu est contaminée puisqu'épurée. On l'a maltraité pour fournir une langue maternelle à celles qui sont nées "Israéliennes", à ceux qui sont nés "Israéliens" dans les fabriques à humains, une langue israélienne, la langue des colons. Les individus ne parlent pas leur langue maternelle. Plutôt, ils interagissent avec d'autres qui l'ont en partage, l'utilisent, en abusent."
"Le colonialisme a rompu des tas de modes de vie. Ont-ils disparus pour toujours comme l'on veut nous faire croire? Notre mémoire corporelle est infusée de douleurs errantes, ainsi que d'interdits imposés à nos ancêtres. Savons-nous comment ils viennent dans notre corps, notre sang, nos rêves, nos cauchemars? Cette chose interrompue est-elle la substance de mon désir ardent de ne pas être celle qui ferme la porte sur un monde dont mes petits-enfants ne savent même pas qu'un jour il fut?"
Un excellent récit personnel saisissant. Il illustre parfaitement comment les systèmes coloniaux de la France en Algérie et d'Israël en Palestine bouleversent les trajectoires de vie. Aïsha Azoulay met les termes justes pour décrire le parcours des juifs arabes et les effets de la colonisation dans les sociétés du Maghreb et du Proche-Orient avec l'exemple de son père.
Un des meilleurs livres que j'ai lus cette année je crois. C'est très beau, très personnel, radical, politique et poétique. C'est hyper riche : l'autrice montre l'absurdité du fantasme d'une civilisation judéo-chrétienne en racontant l'histoire de sa famille juive entre l'Algérie et la Palestine et entre les langues. Elle dit les ravages de la colonisation sur la construction des identités et sur les mémoires. Et le motif du bijou qui est tissé tout au long du récit, comme la matérialité du lien entre les pays et les générations ; les bijoux de sa famille sont maintenant dans les musées européens mais elle les leur arrache pour les mettre dans son livre et c'est beau