Depuis la loi dite « sur le voile à l’école » de réelles fractures sont apparues entre les différentes composantes du mouvement féministe pour aboutir à des clivages profonds en termes de mots d’ordre, d’actions et de mobilisations. Dans le même temps, l’offensive raciste s’est affermie, greffant à sa rhétorique la question des « droits des femmes ». Il est de plus en plus courant d’analyser ce virage en terme d’« instrumentalisation du féminisme à des fins racistes ». Ce livre entend précisément interroger et discuter cet énoncé. L’idée qu’un mouvement social, une politique d’émancipation, puissent être simplement utilisés, ou récupérés par l’ordre existant pour renforcer son discours rencontre bien des limites. Comment expliquer que la réaction ait pu soudainement se parer de vertus « féministes », elle qui a toujours été si hostile aux mouvements féministes, elle qui est si prompte à défendre le patriarcat ? Pour comprendre ce tournant, il faut envisager la chose non comme une simple « récupération » ou « instrumentalisation » mais plutôt comme une convergence d’intérêt, comme une affinité entre les objectifs, à court ou moyen terme, de larges franges du féminisme et du pouvoir raciste et impérialiste, à des moments historiques précis. C’est dans cette perspective que les auteur-e-s de ce court essai entreprennent une généalogie des stratégies féministes : non pas une histoire détaillée, mais plutôt un coup de projecteur sur des situations historiques où la question raciale et/ou coloniale s’est trouvée au cœur du discours des féministes. Les suffragettes et « la mission civilisatrice », le féminisme de la deuxième vague et, plus près de nous, l’épisode de la loi sur le voile à l’école ou encore celui de la solidarité internationale, constituent ces « moments » dont l’étude met à jour les logiques qui ont conduit certaines féministes à promouvoir leurs objectifs aux dépens des colonisé-e-s et descendant-e-s de colonisé-e-s. Le livre propose une discussion stratégique sur le féminisme et le racisme, un récit des occasions perdues et de certaines faiblesses héritées que les mouvements progressistes doivent comprendre et dépasser pour inventer des futurs émancipateurs.
Ça n’a pas toujours besoin d’être long pour aller droit au but. J’aime l’introduction du livre qui pose la question : que veut dire instrumentalisation d’un mouvement? Alors qu’on consent un peu plus à concéder une part raciste aux féministes blanches, c’est rarement sans la partie « victime » sous « instrument ». Ici, les féministes blanches et l’empire vient mettre au clair qu’il s’agit plutôt de collusion d’intérêts mettant au jour des angles morts assumés. J’ai apprécié le balayage historique de ce partenariat raciste/colonial-féministe quoique la fin aurait pu être plus forte et moins prémâchée. Par ailleurs, je dois dire que la portion sur l’homosexualité, quoiqu’elle critique justement la présence du conflit de la colonialité du genre et des sexualités existantes, entretienne une approche classique de la vision masculine de l’homosexualité. Dans tous les cas, je considère cet essai rapide comme une bonne source d’information et de réflexion sur le racisme colonial dans le féminisme, et surtout pour mettre au jour qu’elle en est la forme actuelle.
Les féministes blanches et l’empire est un essai écrit par les étudiant.e.s Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani-Belkacem. Elle et il explorent l’histoire du féminisme, particulièrement en France, et sa relation avec l’empire.
Comme n’importe quel mouvement social, les bénéfices d’un reforme va toucher d’abord les personnes privilégiées, ici, ces les femmes blanches de l’empire. Les aut.eur.ice.s montrent également comment la langue utilisée par la média francophone génère une mauvaise perceptions, si c’est une femme blanche tuée par son conjoint.e, c’est un « homicide » et si c’est dans une famille d’origine arabe, c’est un « crime d’honneur ». Il et elle expliquent également comment le féminisme est souvent instrumentalisé pour stigmatiser les minorités, tant que personnes non civilisées qui ne respectent pas des femmes, en ignorant toutes les atroces contre les femmes dans sa propre communauté.
L’essai est divisé en six chapitres facile à lire, qui expliquent comment le féminisme et utilisé pour des fins racistes par certain.e.s, l’hégémonie occidentale sur l’idée, et l’hypocrisie. Comme n’importe quel essai, je ne suis pas complètement d’accord avec tous de ses arguments mais je vais dire qu’ils ont bien construit. Par exemple, un des arguments qu’il et elle ont été fait contre l’instrumentalisation de laïcité dans l’école publique – c’est possible que les personnes plus impactées sont des filles de famille conservatrice de la confession musulmane, mais, pour le moment, toutes les religions sont interdites. Si c’était pour cibler une communauté, c’est un point de débat.
Le livre a introduit quelques idées intéressantes, et je les vois moi-même dans les débats publiques – l’extrême droite utilisent souvent les droits de la communauté LGBTQ+, femmes, etc. tout en ne respectant pas ces droits eux même – mais utilisé uniquement en mauvaise foi pour cibler certaines communautés.
Pour conclure, je vais dire que c’est un essai bien rédigé et facile à lire, dans un sujet politique très important. J’attribuerai une note de quatre sur cinq.