« Il faut commencer là où c’est le plus injuste. »
C’est avec ce principe que Chloé choisit sa vocation et qu’elle entre, après de brillantes études, à la Cour nationale du droit d’asile en tant que rapporteur.
Devenue en quelques mois incollable sur la violence du monde, la jeune femme présente aux juges les dossiers des réfugiés. Elle tente de maintenir, dans ses habits aussi raides que la justice, son rôle d’experte en géopolitique. Mais comment demeurer imperturbable quand un récit insoutenable chasse l’autre ?
Au fil des mois, les émotions de Chloé s’engourdissent, son corps se tend, ses rêves se muent en cauchemars – au point qu’elle doit lutter de toutes ses forces pour que son travail à la Cour ne l’engloutisse pas.
Dans ce premier roman percutant, où les voix de réfugiés se mêlent à celle de la narratrice, Flore Montoyat questionne les failles de notre système d’accueil et ce qu’il anéantit de notre humanité.
À propos de l'autrice
Née en 1992, Flore Montoyat est passionnée de géopolitique. Spécialiste du droit des réfugiés, elle a travaillé pour les Nations unies, puis passé quatre ans au cœur des décisions de la Cour nationale du droit d’asile. Le Mauvais Rôle, inspiré de cette expérience, est son premier roman.
Chloé est rapporteur à la CNDA et instruit les recours en appel des demandeurs d'asiles déjà rejetés par l'OFPRA. Le livre nous fait ressentir tout le malaise, la honte, la colère, la culpabilité, le désespoir d'une jeune femme qui a fait ce métier pour lutter contre l'injustice, et fait face à l'horreur, l'absurdité et l'injustice totale du système d'asile. Comment aider les demandeurs d'asile sans les broyer et se broyer soi même ? Elle oscille entre la lutte de l'intérieur du système judiciaire, l'envie de rejoindre SOS Méditerranée pour sauver des vie, et la fuite pour sauver sa peau. Le récit est entrecoupé de récits de réfugiés : Christian, Faith et Anwar. Ce livre est bouleversant, il nous plonge dans le malaise et nous oblige à voir une réalité que personne ne veut voir.
Dans ce livre, l'auteur raconte son expérience professionnelle à la Cour nationale du droit d'asile, entrecoupée d'histoires de réfugiés qui ont fui le Pakistan, le Nigeria ou l'Érythrée. Quelle que soit la part du roman ou de l'autobiographie, ce qui m'a plu c'est de mieux comprendre le processus de traitement des dossiers des demandeurs d'asile. On y voit comment de jeunes étudiants brillants comme l'autrice, qui souhaitent donner du sens à leur vie professionnelle, s'engagent dans la défense des réfugiés et se retrouvent finalement "dans le mauvais rôle ', du fait de la pauvreté de moyens de ces instances nationales, dépendantes des politiques au pouvoir, et finalement, se retrouvent impuissants à défendre et protéger ces réfugiés, dans un malaise profond de conflit de valeurs.
« C'était un luxe inouï d’être chez soi en soi. J’avais la chance d’avoir un corps-maison ; les femmes réfugiées avaient un corps-objet.
Découpées, excisées, vendues, remplies, la litanie des participes passés féminins avait l’air infiniment plus difficile que de saigner, un peu, et de vivre sa tristesse seule et sans que personne trouve rien à y redire. »
Évidemment c’est dur et les récits de Christian, Faith et Arwan rajoutent de la réalité à l’expérience de Flore. J’ai beaucoup aimé le passage sur la pièce de théâtre Antigone: Flore avait adoré la position pleine et entière d’Antigone lorsqu’elle était adolescente, mais cette fois c’est le rôle de Creon qui lui parle car il connaît la réalité et les barrières qu’elle érige face aux volontés sans concession d’Antigone. Je comprends la décision finale de Flore de fuir l’incapacité de son rôle à la cour nationale du droit d’asile. Elle reflète la difficulté des démocraties à gérer l’attractivité de leur pays pour les migrants, mais surtout l’incapacité de l’Europe à encadrer les filières de trafics d’humains en tout genre.
Chloé commence, après de brillantes études parisiennes, une carrière de “rapporteur” - grrr, j’ai du prendre sur moi avec ce nom de métier non féminisé - à la cours nationale du droit d’asile. Sur son bureau, les dossiers s’enchaînent et avec eux, une litanie d’horreurs broyées et digérées par la machine administrative française. De jeune femme idéaliste au départ, la narratrice glisse lentement vers désillusion et épuisement…
Le roman de Flore Montoyat, largement inspiré de son expérience personnelle, souligne que derrière les expressions abstraites telles que « crise migratoire », « afflux de réfugié·es »ou « demande d’asile » se cachent des êtres humains aux parcours bouleversants. Il y a celles et ceux qui ont fui, bien sûr, mais aussi celles et ceux qui accompagnent, témoins impuissants d’un système qui déshumanise autant les victimes que les processus décisionnels eux-mêmes.
Le mal-être de Chloé et son désespoir face à la violence, qu’elle soit humaine ou institutionnelle, m’a rappelé avec force le long métrage “Polisse” - qui explore le quotidien de la Brigade de Protection des Mineurs. “Le Mauvais rôle” pose la même question que le film de Maiwenn: Comment trouver un équilibre et continuer à avancer lorsque votre métier vous entraîne dans une spirale de souffrance et d’isolement ?
Pas une lecture facile, comme vous pouvez vous l’imaginer… Mais à l’heure où les médias et le monde politique ont trop souvent recours à un vocabulaire déshumanisant, on ne peut que saluer une oeuvre qui nous invite à regarder différemment celles et ceux qui, au prix de tout, cherchent à se reconstruire ailleurs.
Bon ben, comme prévu c'était dur. Mais forcément, avec un tel sujet. Le début m'a fait sourire : la narratrice me ressemble énormément et j'aurais pu être elle, dans une autre vie.
Mais elle raconte parfaitement ce que ce système raciste et honteux fait aux gens les plus fragiles, les exilés, et à ceux qui participent à cette justice contre leur gré.