"Entre mon métier d'écrivain et celui de manoeuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l'obscurité : il fait noir mais ce n'est pas encore la nuit." Voici l'histoire vraie d'un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l'écriture, et découvre la pauvreté. Récit radical où se mêlent lucidité et autodérision, À pied d'oeuvre est le livre d'un homme prêt à payer sa liberté au prix fort.
À travers son expérience Franck nous dresse un bien triste portrait de notre société, où la pauvreté laisse la place à l’esclavage moderne. Photographe accompli, Franck décide de changer de vie car il veut écrire. Mais ça n’est pas si simple…et il faut bien subvenir aux besoins primaires. Ne trouvant pas de travail à temps partiel (trop âgé, trop ci ou ça…) il en vient à trouver des « petits boulots » via la « Plateforme ». C’est ce monde qu’il nous décrit, avec les efforts qu’il doit faire pour pouvoir écrire. Livre très intéressant et bien écrit.
Meilleure lecture de l'année! Un livre bouleversant, intelligent et magnifiquement écrit. Merci Franck Cortès et merci au podcast 'Thune' pour la découverte.
This book is a spitting image the one I wrote, but not as good. :) The kind of job, the point in life and the circumstances where he undertakes the job, the labour structure (the app, the coworkers), even the body sufferance... all very similar. I am sorry, but I can't help but compare and look for better ideas or finer ways to explain what I already did (already is a very odd adverb when Courtès is at the centre of the world literary system and I am a tiny fly in its margins). I think my book is more multifaceted, and its topics are better planned and distributed than his; his is longer and has a slightly stronger chronological aspect. At least, there is a kind of finishing to the story at the end, and that makes things easier for the reader, in particular, to understand the stronger toll that it takes on the body of an old writer (also older in his case than mine). Some of the thoughts are very similar (such as ethnicity and its role in the labour market), but I also see my perspective as more modern, and more inclusive. His family story is an extra (his book is 5 or 6 times longer), but not an extra that I have in great consideration: it distracts, it makes the narrator weaker, and it doesn't add anything if we can say that reality doesn't add up). He is far more consistent than me, especially in style. Perhaps not more consistent, but more robust: its writing is more solid, thicker, for better or worse. Shame on me that I had to speed up to read the book in just a couple of days (actually, a couple of nights) for my French book club session. Maybe in a few years, I will come back and re-read this story enjoying it more, when I will be more detached from my own tale.
Le choix de la liberté se paie parfois au prix fort. Dans ce roman, le glissement vers une pauvreté extrême s'est traduit par l'éloignement des proches et l'isolement social. Être pauvre dans n'importe quelle société, qu'elle soit libérale ou autoritaire est un toujours une soumission involontaire aux diktats d'un système. Ici, celui des plates-formes numériques sensées fournir des petits boulots à des infortunés réduits à l'état d'esclaves modernes, pointe les incongruités de notre mode de vie. C'est juré je ne ferai JAMAIS appel à ces plates-formes pour me faire livrer des sushis ou monter une étagère.
Lorsque l’on est « À pied d’œuvre », c’est que l’on est prêt à travailler ou à entamer une tâche, mais l’expression désigne aussi les écrits d’un auteur et prend alors le sens de production artistique. « À pied d’oeuvre », un titre parfaitement trouvé pour ce texte singulier, qui en dit autant sur l’écrivain Franck Courtès, que sur notre société.
Franck a été photographe de renom durant de nombreuses années. Il a photographié les plus grandes stars, a été invité au cœur de leur intimité et s’est employé à photographier leurs âmes. Mais un jour, Franck ne veut plus toucher un appareil photo. La montée en puissance du numérique et l’utilisation de Photoshop le confortent dans ce choix. C’est assez naturellement qu’il se tourne alors vers l’écriture. Son premier livre « Autorisation de pratiquer la course à pied » fonctionne plutôt bien. Suivront d’autres ouvrages, par exemple « La dernière photo », « Les liens sacrés du mariage » durant lesquels son matelas financier diminue drastiquement jusqu’à le faire disparaître. Il se retrouve alors totalement désargenté. Or, pour continuer à écrire, cette passion dévorante qu’il entretient avec la littérature, il lui faut trouver une solution. Il s’inscrit alors sur la Plateforme, une application qui propose de petits jobs pour hommes à tout faire. C’est précisément cela que Franck Courtès raconte dans « À pied d’œuvre ». Cela et la pauvreté à laquelle il fait face.
« Entre mon métier d’écrivain et celui de manœuvre, je ne suis socialement plus rien de précis. Je suis à la misère ce que cinq heures du soir en hiver sont à l’obscurité : il fait noir mais ce n’est pas encore la nuit »
Dans « À pied d’œuvre », Franck Courtès raconte le commencement de tout : sa passion dévorante pour la littérature, le besoin impérieux d’écrire, la nécessité absolue de coucher les mots sur le papier et les difficultés qui surgissent à cause de ce choix. « Le métier d’écrivain consiste à entretenir un feu qui ne demande qu’à s’éteindre. Un feu dans la neige. (…) Achever un texte ne veut pas dire être publié, être publié ne veut pas dire être lu, être lu ne veut pas dire être aimé, être aimé ne veut pas dire avoir du succès, avoir du succès n’augure aucune fortune. » Chaque matin, Franck écrit, une routine immuable qui ne saurait tolérer la moindre variation. Chaque matin, Franck écrit, et « Tout commence par un silence à bâtir. » Malgré le sacerdoce que cela engendre, les sacrifices, la rigueur, Franck ne conçoit plus sa vie sans l’écriture. C’est devenu un besoin vital. Alors, quand l’argent vient à manquer, et qu’il n’y a plus rien à vendre parce qu’il a déjà vendu tout ce à quoi il tenait, Franck décide de trouver « un travail alimentaire ». La cinquantaine dépassée, sans diplôme particulier, Franck se heurte à la difficulté du monde de l’emploi : trop vieux, pas assez qualifié, trop qualifié… Dans l’impossibilité de trouver un emploi « classique », il est alors obligé de se tourner vers la Plateforme « une application qui met en relation des clients et des travailleurs », une cour des miracles où des « crève-la-faim » se démènent et se déchaînent pour décrocher des petits boulots très mal payés. « Un marché aux esclaves moderne »
« À pied d’œuvre » raconte cette plongée au cœur d’un système où aucune qualification réelle n’est requise, aucune compétence vérifiée ni exigée. « La méthode rappelle le recrutement hâtif d’hommes d’un pays en guerre. » La plateforme fonctionne selon un modèle fascinant : les algorithmes. Être le premier à répondre tout en proposant le prix le plus bas possible pour décrocher le petit boulot proposé. Un piège très bien huilé où « les pauvres » se livrent une guerre sans merci. Un « génie patronal, exploitant non plus le travail mais l’accès au travail ». Plusieurs anecdotes se succèdent alors, des boulots extrêmement physiques payés des clopinettes aux des tentatives désespérées pour obtenir quelques euros de pourboire, des jardiniers improvisés à la communauté des livreurs à vélo, des gravats à transporter aux rideaux à accrocher, tout y passe. « L’argent n’a pas toujours la même valeur. Il ne vaut pas la même chose en regard de ce qu’il a fallu faire pour l’obtenir. » Pour travailler, il faudra toujours baisser le coût des prestations « jusqu’à atteindre des prix indignes. »
Malgré ses journées harassantes, le corps qui ne tient plus qu’à un fil, l’annihilation des soirées, des week-ends puisqu’il faut toujours être connecté pour trouver le boulot suivant, Franck Courtès y oppose son amour de la littérature. Car, « À pied d’œuvre », c’est aussi se souvenir du pourquoi il fait les choses, de cet amour inaltérable pour l’écriture, ce besoin de mots qui palpite. « La souffrance du manœuvre accroît la jouissance de l’écrivain. » Cet « appétit terrible » ressurgit toujours face aux douleurs physiques du quotidien.
Franck Courtès interroge la valeur du travail et de l’argent dans notre société, le statut d’écrivain qui ne peut pas vivre de sa plume, la place de l’homme désargenté dans sa famille et vis-à-vis de la communauté. Il expose un système, l’ubérisation, où l’esclavagisme moderne est en marche. « La Plateforme et la réalisation fourbe et géniale d’une logique industrielle : utiliser une masse ouvrière réduite au silence, dont on n’exploite plus le produit du travail mais le droit de travailler lui-même. » Pour ces travailleurs de l’ombre, vidés de leur humanité par nécessité, ceux qui se voient attribuer « des miettes de travail », vivent avec une peur panique des lendemains, « À pied d’œuvre » prend des allures d’hommage : pour raconter il faut avoir vécu.
J’ai été sidérée par la force de ce roman, pétrie de compassion et d’empathie, et d’une énorme culpabilité aussi… Car, ce système en vigueur, ce cercle vicieux, nous l’avons tous créé, vous et moi. Nous y contribuons chaque jour : déléguer l’entretien de son jardin, de son ménage, de l’amélioration de sa résidence principale, du montage de ses meubles, la livraison de ses courses, de son plateau de sushis, et j’en passe ! Voit-on la misère qui se cache derrière les visages de ces manœuvres, ce qu’il leur faut de volonté, d’abnégation et de résistance pour affronter chaque nouvelle journée ? Imagine-t-on les blessures du corps, l’épuisement, les douleurs qui empêchent un repos chèrement mérité ? Comment regardons-nous la pauvreté ? « On les tolère, on les autorise même, ces silhouettes en file indienne sous le pont. Si cet échec est acceptable, alors qu’est donc l’inacceptable ? On s’indigne de travers : il devrait tout de même y avoir un moyen d’empêcher ça ! dit-on. Et puis le train repart comme avant, on continue d’acheter ce qu’on peut s’offrir, de voyager dès qu’on en a le temps, de bouffer ce qu’il reste d’énergie, de matières, de planète. On ne va pas s’arrêter de vivre tout de même ! »
Jamais moralisateur, souvent caustique, « À pied d’œuvre » raconte un chemin de vie emprunté par amour : celui de la littérature. Brillant, magistral et divinement bien écrit !
Ce livre m'a beaucoup fait penser à Emmanuel Bove. Je me suis dit que c'est exactement ainsi que l'auteur de Mes amis aurait écrit aujourd'hui. Mais Franck Courtès étale ici davantage de qualités. J'ai admiré comment l'histoire de sa déconfiture personnelle se traduit en une déconfiture globale. C'est au moins ce que je lis dans cette phrase sur le site qui emploie des ouvriers : "La Plateforme est la réalisation fourbe et généreuse d'une logique industrielle : utiliser une masse ouvrière réduite au silence, dont on n'exploite plus le produit du travail mais le droit au travail lui-même." Cette logique implacable est montrée avec une précision et vigueur peu communes de nos jours. Franck Courtès a le goût de toucher juste, de pointer directement là où se trouve l'endroit endolori et ça résonne de manière spéciale dans cette époque trop pudique, toute occupée à respecter la vie privée et à éviter d'insulter quelqu'un par hasard. (Il partage ce courage avec Neige Sinno.)
Pour finir, voici une sorte de timeline littéraire de prédecesseurs d'"A pied d'oeuvre", pour montrer combien ce livre est logique et essentiel :
Les années 1920 : Emmanuel Bove, Mes amis/ Armand 1930 : Eugène Dabit : Hôtel du Nord; George Orwell : Down and out in Paris and London 1960-70 : R. Linhart : L'Etabli; Anonyme : La Scierie 1990 : Thierry Metz : Journal d'un manoeuvre 2023 : Franck Courtès : A pied d'oeuvre
(PS "Main d'oeuvre", titre refusé à cause de l'homonymie avec un recueil de Pierre Reverdy, aurait été beaucoup meilleur pour ce livre !)
Un récit autobiographique qui raconte comment la reconversion d’un photographe reconnu en écrivain va le précipiter dans une déchéance sociale inattendue pour un homme blanc de son âge et de sa classe sociale. Le monde est une jungle où la perte du statut social, lié à l’argent principalement, transforme un père, un ami ou un mari en paria errant dans une zone grise qui n’est pas encore la pauvreté totale pour Franck Courtès, protégé mentalement par le fait d’être artiste et d’avoir choisi sa situation en toute liberté, dans sa quête justement d’indépendance. Ce n’est pas rare qu’un écrivain exerce un autre métier (il sont 67% en France d’après ce que j’ai lu dans Le Monde) mais dans le cas de Franck Courtès, c’est la plongée dans le monde des petits boulots uberisés qui va donner à son témoignage une autre dimension.
« Le métier d’écrivain consiste à entretenir un feu qui ne demande qu’à s’éteindre. Un feu dans la neige. Il faudrait prévenir, mettre un panneau. Cela exige une grande volonté ». J’aurai aimé qu’il parle davantage de ce feu mais cela me donne envie de lire ses nouvelles ou ses autres romans, parce que j’ai aimé le grain élégant de son écriture.
Recommandé par une amie en France, j’ai lu ce livre en 48h. Il est très bien écrit et l’auteur décrit très bien sa réalité et la réalité d’une nouvelle classe de travailleurs qui s’appauvrit , des nouveaux pauvres en France. Ce livre nous laisse un goût amer sur le nouvel esclavagisme, la fausse répartition des richesses et le capitalisme .
A mi chemin entre Edouard Louis et Constance Debré (avec Playboy), complète parfaitement la littérature récente sur les mécanismes infernaux de misère sociale et de mouvements de classe. Je recommanderai !
Je me suis lancé dans la lecture de ce livre pensant que j’y trouverais une description de l’envie d’écrire, de celle d’un écrivain à pied d’œuvre. Ce livre parle certes d’un écrivain mais d’un écrivain qui ne vit pas de son travail, et qui doit donc travailler pour vivre. Ayant décidé de tourner le dos à son métier de photographe, pour lequel il était doué et très bien rémunéré, il se retrouve à chercher des « petits boulots » pour survivre. Ces boulots ne sont pas petits par leur difficulté physique ; ils sont même carrément herculéens. Par leur rémunération, ils sont en revanche minuscules… Sa description de l’uberisation de ce marché du travail, sans aucune garantie ni couverture, est tout simplement effrayante par son caractère impitoyable et sa capacité à broyer les gens. La description est implacable et effrayante. Elle est parfois drôle et touchante, Franck Courtes étant une sorte de Charlot des temps modernes, coincés entre deux classes sociales, maladroit et émouvant. Et au final, c’est bien un vrai et bel écrivain que nous lisons, bien que l’écriture soit très latérale au thème du livre et qu’elle n’y soit évoquée que très marginalement.