« J’essaie de savoir qui était mon père, d’où il provenait, ce qu’il a pu ressentir, je veux comprendre pourquoi nous sommes restés à distance l’un de l’autre. J’épluche les rares témoignages que j’ai de ma famille, j’étudie la vie de mes oncles, je remonte la lignée familiale comme je le peux, même si mes aïeuls ne sont que des noms inscrits dans l’arbre généalogique, des fantômes sans histoire. Sans voix. À défaut de pouvoir mettre des visages sur des noms, il y avait la ferme au bord du Richelieu, dont je garderai toujours des images. Avec une maison qui avait vu plusieurs générations de Dupré naître, grandir, se marier, faire l’amour, faire les foins, faire les sucres, couper du bois pour chauffer le poêle, cultiver le potager, nourrir les animaux, pleurer les vieux parents qui s’éteignaient après des décennies de travail, pleurer des enfants morts en bas âge, et finir par sécher leurs larmes, puisqu’il fallait bien que la vie reprenne le dessus. »
Avec ce livre lumineux, Louise Dupré, plus de quarante ans après la disparition brutale de son père, fait le pari qu’il n’est pas trop tard pour se réconcilier avec lui et lui dire son affection.
Louise Dupré est une poète, romancière et professeure québécoise née en 1949 à Sherbrooke. Elle est participante de longue date au festival littéraire Metropolis bleu. Elle a enseigné la littérature au Cégep de Thetford et à l'Université du Québec à Montréal.
Que dire à propos de ce petit joyau de livre, cette mémoire qui cherche parmi les images à laquelle elle a accès, à partir d'émotions semi-enfouies, pour voir ce à quoi elles donnent naissance?
Que dire à propos d'une écriture fluide, sobre et lumineuse, qui cherche avec douceur et obstination d'aller à la rencontre de celui qui fut son père?
La recherche du père, de celui qui a été son pere, commence avec la recherche du grand-père paternel et de la grand-mère maternel, car le père les a à peine connus bien que ce sont eux, ces deux êtres, qui lui ont donné la vie ainsi qu'à ses frères. Ces frères-là, eux, ont connu les grands-parents paternels mais le petit Arthur-Aimé a seulement brièvement connu sa mère, Louisa.
L'homme au camion est un récit qui avance petit à petit, et qui cerne son objet avec perspicacité, a travers et avec l'aide de tous les signes, les lieus, les liens et les mots qui l'écartent du moment présent. Ce temps présent c'est ce qui a besoin de se remplir de l'être du père ou du moins de sa memoire, pour que cela déborde.... car une quarantaine années ce sont écoulés depuis que l'homme au camion a vécu, et qu'il a laissé un abîme derrière lui.
La nature ce cet abime est fondé, a ce qu'on peut percevoir, précisément sur le fait que le père n'a pas été élevé dans une maison familiale et domestique rempli de ces frères, tantes, oncles, cousins etc, mais au contraire dans un sévère orphelinat.
Louise Dupré écrit L'homme au camion avec moins d'images vivantes, plus lentement et avec plus de peine mais avec tout aussi de précision et de ferveur que quand elle a écrit un récit au sujet de sa mère : L'album multicolore.
La relation avec le père est troublée. Pour connaître la raison de ce trouble il faut avancer avec patience et attention. On ressent une pulsion tout autre que celle qui a lié l'écrivaine avec sa mère. C'est donc une filiation qui s'avère difficile, mais tout aussi nécessaire. Le livre parle de la mort d'un père, oui, mais la nature de cette mort n'est pas, pour ainsi dire, naturelle. Ce ne veut pas dire qu'elle n'est pas authentique, mais ce veut dire que c'est une mort inconcevable, une mort qui est venu chercher sa proie avec une violence que les êtres aimés du père n'ont pas pu accepter.
Cela a pris des décennies pour que la distance temporel a pu éloigner les sentiments de culpabilité et que, a sa place, ont pu surgir les mots paisibles, les images tendres ou troubles, les affections et perceptions nécessaires pour faire revivre avec grâce celui qui a laissé des traces difficiles à suivre. Ce livre au sujet d'un homme d'une autre époque, trop tôt disparu, spirituel et peu volubile est affectueux, sensible, juste et émouvant. L'homme au camion apparaît sous la plume de sa fille avec beaucoup de qualités le long d'une narration qui s'attarde sur les images, sur les citations tirés de livres qui accompagnent l'autrice sur le chemin du deuil et de la réconciliation pour tisser habilement cette relation d'amour qui fait de lui, Arthur-Aimé Dupré, tout une œuvre littéraire.