Entreprises, gouvernements et médias s’emploient depuis plusieurs années à vendre un « rêve technologique » : la révolution numérique, progrès aussi inéluctable qu’indispensable. La refuser serait passer à côté de l’histoire. Ainsi cherchent-ils à rendre l’intelligence artificielle acceptable par le grand public, en prenant soin d’occulter ses effets délétères. Dans un précieux exercice de démystification, J. S. Carbonell montre que ces discours apologétiques servent d’abord les intérêts du patronat. Au lieu de se demander si elle va tout changer, et même si elle va remplacer les travailleurs humains, il faut la replacer dans l’histoire longue des transformations de l’organisation du travail. Car, bien que l’IA présente des enjeux spécifiques, c’est aussi une technologie comme une autre. De ce point de vue, son utilisation représente une intensification de la logique tayloriste née voici plus d’un siècle dans les usines d’Henry Ford : le travail est décomposé en une série de tâches, la conception séparée de l’exécution. Le déploiement d’un management algorithmique (l’organisation du travail et la gestion du personnel par des algorithmes) a pour but principal de renforcer le contrôle et la surveillance de la main-d’œuvre. Voilà à quoi ce livre se veut une invitation à résister.
Lorsque j’ai du mal à me positionner sur un sujet parce que ça me parait trop terrifiant ou complexe, la sociologie vient invariablement à mon secours. C’est pourquoi j’étais très impatiente de lire cette petite synthèse de sociologie du travail au sujet de l’IA.
Avec cet essai brillant et bien mené, Juan Sebastian Carbonell synthétise un grand nombre de recherches en sciences sociales récentes pour aborder la question de l’IA par le prisme de l’organisation du travail. Le livre se place dans une perspective “techno-critique”, c’est-à-dire qu’il s’emploie à décrire factuellement les intérêts économiques et politiques derrière la promo des IA, et leur impact sur l’organisation du taff.
Ce cadrage permet vraiment d’aller au-delà de la position morale et individualisante sur l’IA pour poser (je trouve) les vraies bonnes questions : quels effets l’IA produit-elle sur les corps ? Quels intérêts sert-elle ? Et plus globalement : dans quelle type d’organisation des rapports sociaux s’inscrit-elle et pourquoi elle est, en fait, un outil de dépossession de plus au service du patronat.
L’auteur est chercheur en sociologie du travail et des relations professionnelles à l’EHESS. Même si je ne conseille pas en toute première lecture de socio, je trouve qu’il reprécise pas mal de concepts et d’études de manière très claire, le tout en moins de 200 pages. C’est un excellent travail de partage des connaissances.
All my homies hate les GAFAM, les Big Tech et leurs techno-seigneurs !! Let's go, en mode luddites, pour reprendre le contrôle sur l'organisation du travail et éviter qu'ils nous pourrissent la vie !!
Plus sérieusement, ça se lit très vite et bien, en plus d'être une somme carrée scientifiquement et passionnante politiquement sur les travaux autour de l'IA et de ses usages.
3.5 Y a pas à dire c’est convaincant. Mais gros problème de cet essai : très peu accessible pour les profanes. Beaucoup de termes complexes pas toujours explicités, ce qui rend la lecture assez laborieuse.
Quand je ne sais pas quoi penser ou comment me positionner sur un sujet, lire de la sociologie est toujours un bon moyen de réaligner ma boussole politique intérieure. Évitant les débats classiques autour de l'impact écologique de l'IA ou la pure critique techno-réac, cet essai brillamment pédagogique et accessible analyse l'impact et les effets de l'IA sur l'organisation du travail et son lien avec le système capitaliste productiviste.
Après une 1e partie historique un peu longue où j'ai peu appris sur l'IA et son traitement médiatique, il me semble que le coeur du propos de l'auteur pourrait se résumer ainsi : l'IA est un outil comme d'autres, comme les machines-outils en leur temps ou les applis type Uber, ou les scanner biométriques d'empruntes digitales. Que les métiers évoluent et prennent son usage en compte n'est pas mal en soit. C'est son accaparation par des multinationales privées et son utilisation libéraliste et anti-démocratique qui est critiquable. L'IA, comme d'autres technologies, permet de fragmenter le travail et de déposséder encore plus les employés de leurs savoirs et leurs compétences, les rendant moins indispensables et plus interchangeables, ce qui est l'objectif des patrons des entreprises capitalistes (= taylorisme).
Il faut souligner que ce livre ne traite pas QUE de l'IA, mais plutôt des technologies numériques en général et de leur impact sur la qualité de l'emploi : le sous-titre "critique de l'intelligence artificielle" me semble un peu trompeur. J'ai été un peu perturbée par l'alternance d'exemples "IA" et "pas forcément IA" (scanners biométriques, appli de service type Airbnb, capteurs de conduite dans les véhicules Uber, management basé sur les avis clients, recours à des fournisseurs de services informatiques extérieurs qui déresponsabilisent les patrons...).
Le propos général reste pertinent, l'IA ne vas pas révolutionner l'organisation du travail capitaliste, c'est un outil supplémentaire pour les patrons, pour renforcer la fragmentation du travail et l'asymétrie d'information entre salarié et patron, pour exploiter encore plus les populations laborieuses et finalement, pour produire plus, à moindre coût. Les pages de conclusion (bien qu'un peu confuses et contradictoires), invitent à imaginer une organisation du travail horizontale où les algos d'IA comme toutes les machines, seraient collectivisés, utilisés démocratiquement et de façon limitée, pour soulager les corps et les esprits, libérer du temps et bénéficier à tous.
un livre qui nous parle de l’impact non pas quantitatif de l’IA sur le travail(chômage, suppressions d’emploi) mais qui insiste sur l’impact qualitatif de l’IA (bien plus grand et invisibiliser) sur l’organisation du travail en montrant bien que cela s’ajoute à toutes les technologies précédentes utilisées dans le contrôle des travailleurs•euses !
pas mal de passage aussi sur l’histoire de l’organisation du travail et son évolution, j’ai beaucoup aimé cet aspect surtout que je ne m’y attendait pas dans un livre parlant d’IA
Une bonne réflexion aussi sur la notion de progrès, de technologie et de la vision dominante que celles-ci sont « inévitables » (spoiler : non ce sont des choix politiques)