La Révolution française a été taraudée par une question : comment transmettre l'événement inouï aux générations qui ne l'auront pas vécu ? Les révolutionnaires ont alors cherché à inventer des institutions civiles qui permettraient d'entretenir le souvenir, mais surtout une tenue, une manière révolutionnaire d'être au monde. Cette question, ces institutions, les lieux et les pratiques qu'elles ont fait surgir, sont autant de laboratoires sociaux sensibles pour comprendre comment l'événement depuis 1789 a été régulièrement réinvesti mais aussi dénié, renié, travesti, désinvesti, au point de devenir une sorte de "trésor perdu" pour des héritiers sans testament. La Restauration, les années 1830-1848, le Second Empire, la Commune de Paris, la Troisième République, le début du XXe siècle socialiste, les années sombres, ont métabolisé cette séquence brève dans de grandes discontinuités. Et les affrontements mortifères ont perduré de la Seconde Guerre mondiale à aujourd'hui. Loin d'une signalétique ambiguë faite de bonnets phrygiens, de bastilles à prendre et autres constituantes, ce livre invite à ne rien imiter mais aussi à ne rien négliger d'une histoire qui n'a pas été seulement libérale, d'une transmission qui n'a pas été seulement historiographique. Il invite, plus simplement, à retrouver la Révolution comme référence émancipatrice.
Le serment du jeu de paume, Jacques-Louis David, 1791
Ce livre contient une collection d'articles universitaires ayant pour thème la transmission de l'histoire de la Révolution Française. Il est donc question d'examiner comment, pendant les deux derniers siècles, cette histoire a été écrite, conservée, diffusée et reçue, que ce soit par des acteurs représentant de l'institution universitaire, qui se sont regroupés par écoles, ou bien par des particuliers, des auteurs de mémoires ou même de romans, ceci aussi bien en France que dans le reste du monde.
Parmi les différents thèmes abordés, on trouve le souci qu'on eu les révolutionnaires eux-mêmes à écrire et documenter leur action, et juste après les évènements, une foule de documents autobiographiques vont paraître, souvent orientés, et concurrencer une histoire officielle perçue parfois comme "moins authentique". Est abordé également les distorsions des perceptions dues à des visions politiques, que ça soit à gauche avec les critiques rapides et souvent mal inspirées de Karl Marx, ou à droite avec celles de François Furet, qui reprend pourtant la même méthode téléologique, tournant le dos à l'analyse critique et impartiale des sources pour ressortir les vieilles théories complotistes des années 1930. La lentille a travers laquelle les évènements sont vus est souvent liée à l'actualité, au régime et aux difficultés du moment. Les auteurs n'oublient pas d'évoquer tout le folklore populaire autour de la révolution, ses mythes et ses légendes, où la Révolution est souvent réduite à quelques clichés admis sans esprit critique par un grand public plus sensible aux romans exhalant l'empathie, l'identification, la partialité et la victimisation plutôt que l'examen juste et scrupuleux des circonstances dans leur ensemble.
Un ouvrage éclairant et passionnant, mêmes si les articles sont de qualité inégales. En effet, certains versent un peu trop dans le jargon ou les arguments d'autorité à mon goût, ou bien imposent au lecteur des redites du fait de la variété des sujets examinés qui parfois se chevauchent. Il n’empêche que ce tour d'horizon confirme plutôt la perception que j'avais du sujet, en l'étayant par des exemples.