(En toute transparence, je connais l'auteur, qui est collègue à moi et avec qui j'entretiens des relations amicales.)
C'est un livre à la fois savant et divertissant que Gabriel Arsenault nous livre ici sur le phénomène culturel que sont le chansonnier Cayouche (1949-2024) et son oeuvre. Il s'agit d'un *essai*, ce qui le rend plus spontanément plaisant à lire - avouons-le - et plus accessible que la plupart des ouvrages universitaires, qui sont des *études*. Qu'est-ce que ça veut dire, ça? Ça veut dire qu'au lieu de consacrer son enquête à faire la démonstration d'une hypothèse (c'est-à-dire à "prouver quelque chose" de bien spécifique), l'auteur a utilisé son objet - le phénomène Cayouche - pour jeter une lumière nouvelle sur un ensemble de thèmes touchant à l'Acadie contemporaine. Il le fait dans trois parties efficaces:
Dans la première, biographique, il fait le récit de la vie de Réginald Gagnon (oui, de Cayouche avant la lettre), nous permettant de suivre son parcours, qui est certes individuel, mais qui permets de mieux comprendre celui de bien des Acadiens et Acadiennes de la génération des baby-boomers: de la vie dans le quartier monctonnien de Sunny-Brae durant les années 1950 à la fréquentation des derniers "bootlegers" de la Péninsule acadienne en passant par la migration vers les "États" et les contre-cultures des années 1970.
La deuxième partie, "Cayouche et le party", est plus proche de l'analyse littéraire. Il décortique les chansons de l'artiste-bum en les mettant en rapport avec son vécu, démontrant qu'il est à la fois brutalement honnête dans ses messages ... et très coupable de plagiat.
La troisième partie, "Cayouche et l'Acadie du Party", jette un regard original sur la culture acadienne contemporaine à partir de la réception que celle-ci a réservée à Cayouche: triomphale chez les couches populaires (Arsenault démontre que Cayouche est assurément "l'artiste acadien le plus populaire en Acadie") et glacée (ou inexistante) chez la critique et chez les classes supérieures bien-pensantes. En entrevue à Radio-Canada, Arsenault racontait que "l'objet Cayouche" exigeait qu'il fasse de la "vulgarisation inversée", pour expliquer aux élites la signification de Cayouche, que les classes moins favorisées, elles, avaient compris depuis longtemps.
Le professeur de l'Université de Moncton avoue d'emblée qu'il s'agit d'un thème bien particulier pour un politologue, mais fait valoir qu'il existe un angle mort parmi les chercheurs en sciences sociales et humaines en Acadie: nous n'avons, en effet, aucun spécialiste ou programme en "études culturelles", champ interdisciplinaire qui est assez courant dans les universités de langue anglaise. Si cette "discipline" est un peu fourre-tout, elle est aussi très pratique pour aborder des objets qui ne cadrent pas tout à fait avec les disciplines classiques. C'est le cas ici, puisque cette réflexion autour de Cayouche emprunte aux méthodes et approches de l'histoire (l'aspect biographique), de la littérature et des études musicales (l'analyse des paroles de chansons et des genres musicaux) et de la sociologie politique (mise en relation avec les attitudes et comportements de l'Acadie contemporaine). Inversement, cet ouvrage est aussi une contribution à tous ces champs.
Je n'en dirai pas plus, sauf pour dire que ce petit bouquin, dont le point de départ était une boutade de l'historien Maurice Basque, vaut bien le détour pour un public... presqu'aussi large que celui de Cayouche. ;-)