Sacra, Parfums d’Isenne et d’Ailleurs - OPUS II / NULLE ÂME INVINCIBLE
Une fois encore, les lignes des fils tendus se croisent, et les quêteurs de secrets se rassemblent, cherchant le chemin vers les codes, rites et fragrances du grand carrefour du monde, et ce qu’il reste de la splendeur… Autour... de la lueur d’une lampe noire dans une boutique d’antiquités de Kensington ~ des cérémonies initiatiques des adeptes de Morphée, et des songes de braise des Khazars ~ du pas des Nephilim sur la route des âges, et des formules de la vacuité et du détachement, sous l’ombre des statues du Gandhara ~ de l’écho du rire d’Angharad sur les murs des palazzi lagunaires, et du café embaumé d’épices d’un Lucifer mécréant ~ de la couleur envoûtante des érables à Kyoto, au miroir coupant de retrouvailles dans les rues de New York… Dans le souffle brûlant des athanors d’Isenne, les vapeurs des braseros oneiroi, et le parfum du bois d’Agar des cérémonies de Kodo japonaises, le diagramme mouvant du Sacré se dessine et s’efface, une nouvelle fois…
Il ne restera de ces trajectoires de feu, à la fin, que l’empreinte de pas de foudre dans les braises, le sable coruscant et la cendre, et la fumée tenace d’un millier de parfums répandus.
Sous l’égide des Muses et le claquement des bannières du Jinnistan dans les vents de Qâf, par les Sceaux qui convoquent les Déchus et les dieux exilés ; au calame persan, au couteau de peintre, et au plomb des vitraillistes, Léa Silhol, architecte des univers croisés de Vertigen, Frontier et Isenne, conclut le tissage d’une rose des vents en forme de piège à rêves, passionné, viscéral et intransigeant, à l’image des âmes démesurées qu’elle ne se lasse jamais de dépeindre.
Léa Silhol est une romancière, nouvelliste, anthologiste et essayiste française, née en 1967 à Casablanca. Elle a été par ailleurs l'une des fondatrices des éditions de l'Oxymore, directrice littéraire et artistique, attachée de presse, ainsi que musicienne dans le "concept band" Done by Mirrors. Ses univers s'inscrivent dans le champ de la Fantasy Mythique (Le cycle de Vertigen), la Fantasy Urbaine (l'univers des 'Fays' de Frontier), le Cyberpunk (la série Gridlock Coda), le Fantastique, le Réalisme Magique ("Sous le Lierre"), et la littérature expérimentale (La séquence Hyperfocus). Elle vit à l'heure actuelle dans le sud de la France avec sa famille, un chat poseur d'énigmes, et trois lévriers (galgos et podencos) sauvés des massacres en Espagne. Elle y partage son temps entre l'écriture, la musique, et la défense des causes qui lui sont chères.
Le premier volume de Sacra était impressionnant. Comme un voyage idéal, où on nous aurait offert un billet open pour les destinations fantasmatiques de notre choix. On passait ainsi, en touriste éberlué, par nombre de cités mythiques puis, sans escale, dans des lieux plus familiers : Prague, Venise, l'Irlande, Vienne, l'Angleterre... Le même principe s'applique ici, si ce n'est qu'Isenne et ses consœurs légendaires s'effacent davantage, au profit des régions inscrites sur nos cartes, qu'elles laissent toutefois totalement altérées par leur contact. Le volume deux de Sacra adopte cette fois sans hésiter les chemins de l'orient, nous emmenant en Turquie, dans l'ancienne Khazarie, à Kaboul et, plus à l'Est encore, vers le Japon, pour le texte qui occupe une bonne partie de ces copieuses pages : le bref roman "Le Maître de Kodo". La thématique du parfum, toujours omniprésente en arrière-fond, prend ici une texture très "Mille et Une nuits", les fumées se faisant plus suaves et aptes à tourner la tête. On peut presque entendre la musique des saz de Khazarie et les chanteurs des rues d'Istanbul, non loin. La vision, brève mais étourdissante, des Cours des Djinns (qu'on aperçoit ici pour la première fois) conforte encore cet effet. Si le court roman "le Maître de Kodo" joue sans relâche le choc des ères en mode chaud-froid, alternant les visions des quartiers branchés de Tokyo et Osaka avec celles, zen et traditionnelles, d'une propriété familiale de Kyoto, ce texte joue la même chanson sur le registre des genres littéraires, passant sans heurts de la fantasy urbaine au cyberpunk et à la fantasy mythique. Au premier plan : une bande de fays qu'on a plaisir à revoir et à essayer d'identifier. En insert : le grid des réseaux informatiques, et de ceux qui y voyagent. En arrière-plan, la ville féerique de Seuil, et les liens inattendus entre cet extrême occident et le Japon. Un exercice de voltige remarquable ! C'est pourtant à "D'une étoile à l'autre" que sera allée ma grande préférence, non tant pour la somme incroyable de pistes et promesses contenues dans cette réunion d'immortels, que pour l'ambiance. Le personnage de Lucifer, croisé déjà dans Conversations avec la Mort et qui avait révélé, ensuite, son côté extrêmement attachant dans Fovéa, Leçons de Gravité dans un Palais des Glaces explose littéralement ici, au point d'être passé sans crier gare parmi mes préférés dans tout le brillant peuple de "la trame". Ses deux interlocuteurs (le nophelim et le djinn) ne sont pas loin de le rejoindre. Le remix de "la faveur dela nuit" à la mode isennienne dans "béni soit l'exil" m'a enchanté tout autant. Les Khazars sont toujours fascinants, mais je ne crois pas que beaucoup d'auteurs, à part Silhol, auront écrit sur ce peuple disparu des textes susceptibles de prendre place à côté de l'hallucinant Dictionary of the Khazars. Et enfin... ce fut un plaisir capital de retrouver dans ce sommaire l'une des plus belles nouvelles de Lady Silhol à mon sens : "Emblemata, En récitant le Sutra du cœur", que je n'avais lu jusque là que dans sa version anglaise dans Interfictions: An Anthology of Interstitial Writing. C'est avec des textes comme celui-ci que la fantasy montre à quel point elle n'a rien à envier à la "grande littérature" en terme d'intelligence, de puissance, et de limpidité. Je ne quitte jamais les pages de ce texte-là sans une singulière oppression thoracique, dont je serais incapable de dire s'il s'agit de mélancolie, gravité, ou simple mélange, très assorti aux idées exposées, de compassion et de tristesse. Il me semble, bien que cela soit quelque peu inquiétant, que cela pourrait bien ressembler à la "sagesse" ;) "Sage", au sens philosophique du terme, c'est sans doute ce qu'est ce texte, et je pense qu'il devrait être prescrit au rayon vaccins par le ministère de la santé.
Si l'art et ceux qui le pratiquent dominaient le premier volume, dans une impulsion de recherche de la beauté, de l'histoire, et au travers de complexes négociations avec à la fois les principes et les Muses, ce second volume prend une teinte différente, marqué par l'attachement entre individus, la perte, et le vrais sens de l'éternité au travers des arts du souvenir et des liens que rien ne peut défaire. Une architecture fragile et indestructible, à la fois sobre et pudique, et pourtant totalement bouleversante.
Léa Silhol a souvent dépeint des univers et situations très sombres et sans pitié. Sacra est certainement, comme elle l'avait suggéré elle-même, son opus le plus lumineux. L'espoir établit son règne à chaque page, par-dessus ruines et fractures, qu'elles soient collectives ou individuelles, et ceci jusqu'à la toute dernière ligne.
Dire lequel des deux opus du diptyque est "meilleur" que l'autre n'aurait pour moi aucun sens. Sacra est un ensemble présenté en deux volumes, mais inséparable ; un crescendo qui amène avec tranquillité, marche après marche, le lecteur là où il doit aller. Un livre à lire et à relire à chaque fois que nous nous sentons susceptibles de sombrer dans les humeurs noires et le désespoir. En somme, je n'ai pas pas l'impression d'avoir ajouté un livre dans ma bibliothèque, mais d'y avoir invité un nouveau "meilleur ami", un de ceux qui sont capables, sur un simple coup de fil, de vous sauver la peau. Restant dans l'ambiance "d'Emblemata", je plains infiniment tous ceux qui ne liront pas ce livre.
Ce recueil est un voyage. Le premier opus était déjà magnifique, le deuxième, à mon avis très subjectif l'est encore plus. Léa Silhol marie à merveille des personnages envoutants à des ambiances mystérieuses et raffinées. Il y a les détails qui tuent, des six bracelets aux lunettes de soleil. Le retour aussi de noms aimés dans d'autres volumes. J'ai fait attention à prendre mon temps mais cette première lectures a une fois de plus été trop courte.
Après l’enchantement – que dis-je, l’envoûtement – de Sacra, opus I, voici ma chronique de l’opus II. Un second volume fortement lié au premier – je ne saurai donc que vous encourager à les lire dans l’ordre ! 😉
À l’instar du premier, je me suis retrouvée ensorcelée par la plume de Léa Silhol, même si les textes de ce second opus n’ont pas tout à fait la même saveur, ni les mêmes parfums, que ceux au sommaire du premier. Non qu’ils soient moins bons – bien au contraire – mais ils possèdent leur identité propre, malgré les liens qui les tissent aux textes du premier opus ; des émotions différentes. Allons donc pour un avis détaillé ! 🙂
Lumière noire était pour moi une relecture, ayant une l’occasion de lire ce texte lors de sa première parution en anthologie (une anthologie que ma bibliothèque municipale d’alors possédait). Malgré le côté doux-amer de ce texte, ce fut un plaisir de retrouver Camille et sa quête d’une mystérieuse lampe, une lampe fabriquée à Isenne. Isenne… nous voilà d’emblée replongés dans cette ville d’artisans, certes de façon détournée, par le biais de cet objet aux propriétés spéciales, mais tout de même. Une belle entrée en matière, fort bien titrée, pour le recueil !
Sfrixàda nous entraîne cette fois-ci directement en Isenne. Un habitant y conte, à une invitée prestigieuse que les lecteurs de La Sève et le givre reconnaîtront, une histoire qui fait suite à celle contée dans Litophanie (Sacra opus I). De quoi connaître la suite du destin des personnages principaux de cette nouvelle, tout en en découvrant un peu plus sur Isenne (comme ses heures et ses couleurs), voire même de froncer le nez en pensant apercevoir un lien ténu, glissé subtilement, avec une autre nouvelle d’un autre recueil (je crois que je vais finir par noter dans un carnet tous ses indices, pour mieux comprendre la trame :))
D’une Étoile à l’Autre est une version allongée de L’Étoile, au matin, parue dans Fovéa. Dans cette nouvelle version, le récit s’étend pour nous offrir la rencontre de personnages puissants, inhumains, à l’aube d’un profond changement du monde. Un texte enchanteur, qui ouvre autant de questions que d’univers, qui tisse (encore) des liens avec d’autres textes, notamment Magnificat (Sacra opus I). Un texte qui m’a bien plu, par ces différentes personnalités devisant ensemble, par toutes ces portes entrouvertes et la menace qui plane.
Béni soit l’Exil est présenté comme la version allongée de La faveur de la Nuit. Sous la forme d’un récit enchâssé, nous découvrons l’ascension et la chute d’un royaume, la conclusion d’un pacte et sa dissolution. Khazars et oneiroi sont les principaux sujets de cette nouvelle ensorcelante, avec toujours ce lien à Isenne, comme à d’autres récits de la même autrice. Un nouvel enchantement, que ce récit, que j’ai eu plaisir à redécouvrir sous ce nouveau format.
Nous arrivons cette fois à mon texte-chouchou de ce recueil ! Bien que j’ai apprécié tous les textes au sommaire, celui-ci m’a particulièrement plu et je l’ai même volontairement dégusté page après page, me forçant à ne pas aller trop vite pour bien en goûter chaque mot. Le Maître de Kodo nous entraîne dans le Japon contemporain, à Kyoto, où Hatsuyuki Izôkage a fait venir des fays pour sauver sa soeur du Grid. Izôkage, même nom de famille que l’un des personnages de Gold (Sacra opus I), et pour cause, il s’agit de la même famille. Des fays, comme dans le recueil Musiques de la Frontière – un personnage de taille est d’ailleurs mis en avant dans Le Maître de Kodo. Et enfin le Grid, un environnement virtuel que je me garderai bien d’essayer de décrire en une ligne, le Grid dans lequel est piégée la soeur d’Hatsuyuki. Entre féerie et virtuel, entre Japon traditionnel et fays américains, cette novella est un pur délice ! On y parle aussi de tatouage – ce qui n’a pas été sans me déplaire 🙂 – mais pas que. Comme souvent dans les récits de Léa Silhol, les personnages y sont entiers, sans aucune concession, mais là, dans ce récit, cela rend leur destin d’autant plus tragique.
Emblemata nous emmène au pied des Bouddhas de Bâmiâyn, ces gigantesques sculptures détruites en 2001 par les talibans. Sis en 1931, le récit conte la rencontre en un dessinateur franco-russe et un étrange personnage, qui lui enseigne le Sutra du Coeur. Ce texte, imprégné de la pensée bouddhiste, laisse à réfléchir.
Enfin le recueil s’achève avec The Passenger, courte nouvelle où l’on retrouve le narrateur de À travers la fumées (texte d’ouverture de Sacra opus I) alors qu’il est âgé et proche de rendre l’âme. La boucle est bouclée avec ce texte !
Pour résumer, Sacra opus II est un parfait pendant au premier opus – les textes s’y répondent, les secrets d’Isenne s’y dévoilent petit à petit, la Trame tissée par l’autrice se laisse entrevoir, de nouveaux liens sont tissés. Le format nouvelles et novellas m’a bien convenu – après tout, c’est par la nouvelle que j’ai commencé à lire Léa Silhol. Un fort beau diptyque que Sacra !
Invitation au voyage, rose des vents, compagnons de route.. Voilà ce que sont devenus pour moi les deux volumes de Sacra, parfums d'Isenne et d'Ailleurs.
Sacra, Parfums d'Isenne et d'ailleurs - I - Aucun coeur inhumain m'avait emportée dans un grand élan extatique, dont je ne suis toujours pas remise ni redescendue, tandis que j'explore le dédale du second opus, les lieux qu'il évoque de somptueuse manière, et les réflexions qu'il invoque— une exploration passant par Istanbul, New York, le Japon, l'Afghanistan, les terres khazares, et la belle Isenne (qui inspire trop d'amour pour que l'on accepte de la reléguer au rang de ville imaginaire), et bénie soit chacune de ces stations !
Les folklores disent, parfois, qu'il faut se défier des carrefours. Que le Diable y rôde en dealer de désirs et ravisseur d'âmes. En ce croisement de mondes et de destins qu'est Sacra, grand est le risque de laisser son âme à Lucifer — et aux djinns, et aux fées à travers les ères, et même à certaine Cité de la création de Léa Silhol. Non pour en obtenir quoi que ce soit, mais pour la beauté des cœurs qui se dévoilent intimement à travers les fumées d'encens, se révèlent dans l'épreuve et la perte, et les questionnements de sens et d'éthique que ce recueil de récits fait danser dans la poussière d'or du Sacré. Grand, oui, est le risque de s'engager de toute son âme dans Sacra. Mais ce n'est pas un risque, c'est une grâce. Il ne faut pas approcher les carrefours avec un cœur gardé, il faut y tournoyer comme pétales de rose dans le vent.
Où que me mènent mes pas, Sacra figure désormais parmi les points cardinaux de mon appréhension du monde. Et parmi ces rencontres qui rendent humblement reconnaissants d'avoir vécu assez longtemps pour en faire l'expérience, celles qui justifient que l'on célèbre le jour nouveau dans la noirceur environnante. Inspirant, indispensable...
5 nouvelles et 2 novellas pour plonger ou replonger avec délices dans l’univers de Léa Silhol dont j'aime tant la plume ! On y retrouve des personnages déjà connus (Lucifer, Angharad…) et on en découvre de nouveaux (Hatsuyuki, Rubeys Maduro…), l’ensorcelante cité d’Isenne est également présente. Et on fait connaissance plus avant avec les Djinn déjà entrevus dans Sacra 1
Sacra fait lever les yeux vers le ciel et sentir le poids de la chaleur du soleil comme les doigts d’une divinité. Il fait regarder le monde autrement. Je l’ai dégusté avec lenteur pour le lire à nouveau sitôt terminé. Et j’y reviendrai dans le futur, encore et encore, sans me lasser, je le sais déjà…
Si j'ai aimé le premier tome, j'ai adoré le second. Je m'y suis perdue, j'y ai voyagé, mon coeur a battu (fort), mon souffle s'est suspendu, ce livre est comme l'empreinte de la lumière du soleil sur la rétine, éblouissant. C'est le genre de texte que l'on a envie de lire à ceux qu'on aime à la lueur d'une bougie. Et de relire. Et de relire...