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477 pages, Paperback
First published January 12, 2017
Il restait pourtant un évident point faible: le département de la Seine-Saint-Denis, concédé par le pouvoir gaulliste aux communistes, et laissé depuis presque à l’abandon, comme si le département qui tenait son nom du lieu où se trouvait le tombeau des rois de France devait demeurer un point aveugle du jacobinisme. La nouvelle carte de l’Île-de-France ressemblait à cette illusion d’optique qui consistait, en fixant un point noir, à en faire disparaître un autre, situé juste à côté mais qui tombait à l’emplacement où le nerf optique se raccordait à la rétine – c’était ainsi que disparaissait la Seine-Saint-Denis, servitude fonctionnelle de Paris, territoire presque maudit du nord-est dont le nom lui-même finirait par disparaître derrière un numéro prophétique et vengeur [je ne sais pas exactement à quelle utilisation du nombre 93 il fait référence ici, peut-être au Manifeste des 93[1]], le 93, qui se décomposerait à son tour en deux chiffres, hâtifs et maladroits, 9-3, qu’on verrait dessinés à la bombe sur les ruines de la ville moderne par ses ressortissants analphabètes
Le système ferroviaire de la métropole valait les meilleurs systèmes de ségrégation sociale, les meilleurs systèmes de castes ou d’apartheid: les habitants de Paris avaient le métro, ceux de la banlieue avaient le RER. Les deux systèmes se chevauchaient sans se croiser vraiment.
J’avais en réalité les yeux toujours fixés sur Clichy-sous-Bois, sur la cité du Chêne Pointu et sur celle des Bosquets, l’épicentre des émeutes.
Je devais éviter à Adrar[3] un désastre similaire. Nous avions vécu avec ces émeutes, nous autres urbanistes, notre 6 août 1945; nous avions découvert soudain la face sombre de notre spécialité pacifique, nous avions vu nos utopies isométriques, nos croquis innocents se retourner soudain contre la civilisation des hommes.
Les deux mondes se retrouvaient là tous les samedis soir, autour d’un animateur, Thierry Ardisson, connu pour son goût, mesuré et piquant du scandale – il avait interviewé Gainsbourg à sa grande époque, il avait fait de la pub, il s’était drogué comme il avait pratiqué l’échangisme, et il gardait de tout cela un goût de la provocation qui donnait à son émission un caractère sulfureux élégant, sans les habituelles vulgarités des autres émissions – le sérieux et l’intelligence demeuraient toujours à portée de main, comme les attributs raffinés, et délicatement sadiens, d’une soirée réussie.