“C’est la cadence, c’est le pas Les nœuds que renouent les navires Par leur rythme épuisé Sur le flanc rond des mers Le staccato moteur & La voile qui gire & Le délié des langues Et les pleins noirs de l’encre Que nous suivons des doigts Quitte à nous y tacher Yeux fermés — Lèvres closes — Cœur alternatif”
Léa Silhol est romancière, nouvelliste et essayiste. Elle a tour à tour été qualifiée par la presse d’“onirique”, “élégiaque”, “shakespearienne”, et posée comme la plus grande styliste francophone des Littératures d’Imaginaire, et l’une des voix les plus poétiques de son temps. Sur la trentaine de volumes de poésie qu’elle a rédigés au fil du temps, les deux œuvres réunies dans cet opus sont les premières à être publiées. Après avoir chanté le prisme de l’élément liquide dans ses Contes de la Tisseuse, c’est sous l’égide de la mer seule, et des figures de ceux qui la bravent, qu’elle place cette ode double à la littérature — abordée par les chemins de traverse de l’inspiration qu’initie l’amour fou (Tracés de Feu), et ceux qui fusionnent lecteurs et auteurs (Navigator).
Traversées poétiques accompagnées des photographies en couleurs de Mad Youri et Sadana Silhol
Léa Silhol est une romancière, nouvelliste, anthologiste et essayiste française, née en 1967 à Casablanca. Elle a été par ailleurs l'une des fondatrices des éditions de l'Oxymore, directrice littéraire et artistique, attachée de presse, ainsi que musicienne dans le "concept band" Done by Mirrors. Ses univers s'inscrivent dans le champ de la Fantasy Mythique (Le cycle de Vertigen), la Fantasy Urbaine (l'univers des 'Fays' de Frontier), le Cyberpunk (la série Gridlock Coda), le Fantastique, le Réalisme Magique ("Sous le Lierre"), et la littérature expérimentale (La séquence Hyperfocus). Elle vit à l'heure actuelle dans le sud de la France avec sa famille, un chat poseur d'énigmes, et trois lévriers (galgos et podencos) sauvés des massacres en Espagne. Elle y partage son temps entre l'écriture, la musique, et la défense des causes qui lui sont chères.
Evaluer la poésie est toujours difficile. N’étant pas très instruit en matière de métrique et autres obligations de la poésie classique, et ne connaissant pas non plus les codes qui régissent la poésie libre (y en a-t-il seulement?), je m’abstiendrai de parler de la forme. Parlons du fond, alors. Navigator, c’est probablement ce qu’il resterait de tous les autres ouvrages de l’autrice, une fois dépouillés de tout contexte et de tout nom étranger. Pas un squelette, mais plutôt du sang, et de la « substantifique moelle ». Et voilà pourquoi la critique est difficile, car comment évaluer le sang d’autrui ? Ca ne se fait pas. Il y a l’amour (toujours), mais embrasé et incandescent et jamais vécu comme une paix, puisque la paix est l’arrêt du changement, la petite-mort non-désirable : il y aura donc des poèmes flamboyants, taillés tantôt comme des complaintes et parfois comme du slam, avec ici et là comme un petit air de transe soufie ; la rencontre de l’Aimé, en ce sens, qui sauve et repêche, mais la félicité qui stagne et qui tue, et par conséquent la rupture nécessaire, et le retour à la solitude – pas de la même couleur pourtant, puisqu’elle enclenche le début d’un nouveau cycle. La même histoire, à la fois très personnelle et universelle, par petits bouts tranchants, et cette langue toujours aussi étonnante quand il s’agit de produire des images saisissantes où la beauté ne suffit plus : c’est le sublime, ou rien. La seconde partie du recueil, le Navigator proprement dit, a pour sa part des allures de longue incantation, d’appel et d’hommage à ceux qui ont précédé et d’invitation pour ceux qui suivront : les voyageurs, les quêteurs, tous ceux qui passent et qui marquent ou cherchent à marquer depuis que l’Homme raconte (puisqu’il faut bien raconter à un Autre) ; un relai, un geste de transmission, un appel à lire et à se nourrir pour conter à son tour dans un voyage qui, comme la mer, n’a pas de réel début ni – souhaitablement – de réelle fin. « Le navigateur est un vouloir en marche / Il ne désire pas tous les jours la paix ». En ce sens, Navigator n’est ni une île, ni une perle enchâssée. Juste un morceau de poésie à l’état sauvage. Juste ça, et rien de moins.