« Seuls les entrepreneurs peuvent devenir riches. Devenez entrepreneur. C’est le meilleur investissement que vous pouvez faire, car il implique d’investir dans vous-même, tandis que travailler pour un salaire équivaut, cela s’entend, à enrichir autrui. Les termes de l’alternative sont clairs : donner ou prendre (partager étant exclu de la discussion). Ainsi pourrait se conclure le manifeste du parvenu : ce qui n’est pas pris est perdu. »
Avec cet essai, qui tient à la fois de la satire et de l’analyse, la sociologue Julia Posca passe au crible le discours décomplexé de l’élite québécoise au pouvoir, qui rêve d’un Québec peuplé principalement de rentiers et de patrons. Une utopie pécuniaire sondée dans toute son absurdité, mais surtout dans ses nombreuses contradictions.
Le manifeste des parvenus est une œuvre-choc et décapante. C’est la voix de nos maîtres, telle que vous ne l’avez jamais entendue ! Et il importe d’y porter une attention critique, car, dans l’Amérique où le triomphe de l’argent repousse les frontières de la vulgarité, l’heure des parvenus a sonné.
Une satire du discours des élites politiques et des gens du milieu d'affaire, l'essai tente de démontrer, en six commandement, comment une élite financière et politique tente de se prendre pour une victime des politiques de gauche et progressiste et déplorant un soi-disant manque d'ambition, d'entrepreneuriat ou d'auto-flagellation collective de la part des Québécois·es.
Le discours est quasi-exclusivement tiré d'articles de journaux, surtout situé entre 2005 et aujourd'hui, mais n'hésitant pas à piocher dans des discours politiques ou des politiques après la Révolution tranquille. La satire étant un genre qui peut laisser peu de place à un contre-discours, j'ai été agréablement surpris de voir filer toutefois quelques propositions en plus d'une seconde partie qui s'affaire à tirer des leçons de la premières parties (avec les six commandements).
La démonstration est excellente, Posca réussit bien à démontrer qu'il y a une idéologie partagée et promu par les soi-disant "parvenus" (des millionnaires, des politiciens, quelques chroniqueurs et leurs ami·es) qui emploie à critiquer le système d'éducation qui laverait les cerveaux avec des opinions gauchistes (pour proposer de les remplacer, parfois, par des téléviseurs qui diffuseraient le même message partout selon un animateur radiophonique qui aimerait bien voir advenir cette dystopie), semblablement aux médias par ailleurs, veulent absolument faire la promotion de cours d'entrepreneuriat dès le plus jeune âge, invoque une panique morale et une fuite vers d'autres pays des super-riches pour empêcher d'augmenter un peu l'impôt des particuliers ou des entreprises (en plus d'admettre bien malgré eux que les agences de notation tiennent en otage les budgets), font l'éloge du travail qui serait soi-disant auto-récompensé (alors que Posca montre à l'aide de différentes sources que les riches ne travaillent souvent pas), font l'éloge d'un futur composé uniquement de rentier du logement (mais qui louerait les logements s'interroge-t-on?) grâce à la mentalité d'entrepreneur qui permet tout et surtout de devenir riche!
Posca n'hésite pas non plus à démonter le discours du travail qui permet de s'enrichir, en rappelant comment des politiciens comme Couillard ou Legault ont fait leur fortune en évasion fiscale pour le premier ou en bouffant des subventions gouvernementales pour le second alors qu'ils se présent comme seul acteurs de leurs richesses. Les dépanneurs couche-tard, Jacques Villeneuve, PowerCorporation et autres (parfois soi-disant) "parvenus" n'échappe pas à la démonstration que leur fortune s'est faite grâce aux politiques sociales du gouvernement et non pas par un travail acharné ou une éducation entrepreneuriale particulière (qui a parfois tout l'air d'être donné par des charlatans ou encore oublié la moralité derrière les actions; pourquoi respecter les lois quand on peut simplement payer une amende comme l'a fait un jeune homme dans l'immobilier?).
Bref, c'est un essai, qui grâce à sa forme satyrique, charge encore et toujours l’hypocrisie, les mensonges et autres propagandes de ces "success story" autoproclamé. Cet essai ne s'attarde donc qu'à déconstruire le discours et bien qu'on voit quelques bribes de contre-discours, on ne voit malheureusement d'idée de d'autres suggestions de projets ou encore d'arguments qui soutiennent l'importance de ne pas aller dans cette voix (sinon de par un démontage des arguments ou d'en souligner comment le discours bénéficie uniquement ceux qui sont déjà au pouvoir). Ce n'est pas son objectif toutefois donc, nous pouvons passer outre cette question si on veut critiquer l'ouvrage.
La démonstration est amplement convaincante, mais peut-être l'est-elle uniquement pour les personnes déjà convaincues. Par exemple: j'ai dû mal à croire que tout le monde arrive à lire dans les textes d'opinions ou le livre de McSween la même chose que Posca (oui, je le vois depuis 2012 ce discours économique élitiste où le travail acharné amènerait ses propres récompenses et comme l'égalité des chances n'est pas un enjeu pour lui, pas du tout) et une démonstration plus poussée aurait peut-être été nécessaire pour expliquer pourquoi ce chroniqueur(?) véhicule une idéologie et pourquoi son bouquin ne fait pas juste sauver de l'argent au monde. Cette réflexion accompagne le choix du genre de la satire qui, pour bien la comprendre, nécessite de connaître déjà les arguments et contre-arguments d'un discours. L'essai est très réussi à ces niveaux et ce n'est donc un problème, son public par exemple, ne sera toutefois pas aussi large qu'on aimerait l'espérer et des nuances pourraient se perdre. La complexité d'une réflexion ne devant pas en empêcher sa diffusion à mon avis (surtout qu'elle est doublé de cette démarche artistique), je ne peux que prévenir de lire quelques livres sur le sujet (ou à tout le moins, lire régulièrement les journaux) avant de s'atteler à ce dernier.
Drôle de lecture fortuite en vacances. J'ai adoré l'approche satyrique de cet essai bien documenté qui se lit d'une traite. La conclusion demeure pertinente en 2022, surtout en pleine campagne électorale.
4 étoiles pour le sujet qu’il est important d’aborder encore et encore. La satire est appréciée quoi qu’elle alourdit la lecture pour un.e lecteur.trice moins habituée à naviguer dans ce type de lecture.
On y apprend comment ce sont les riches qui modifient le discours pour qu’on ait l’impression qu’ils sont constamment persécutés.
Se faire soi-même avec les travail des autres. C’est beau la richesse.
3.5 étoiles Bonne réflexion sur le partage inéquitable des richesses et le transfert de culpabilité des riches vers les autres. Me fait penser à Economics for a good society et La société de provocation.