« Le visage des Cours est complexe. Sans ‘histoire écrite’ et tissé de secrets, de rites, de complots. Un lacis d’obligations contraires, de nasses, de pièges ; où le mensonge est une arme, et le mystère un bouclier. Derrière son énigme, le Peuple de Féerie cache un cœur trouble, qu’il n’a cure de rendre intelligible. Au contraire. Ici, toujours, les routes servent davantage à perdre qu’à guider. C’est déjà, en soi, un défi que de décrypter nos voies. Mais le seul fait d’entreprendre ce que nous avons entrepris est, aussi, faire œuvre interdite. Certains nous la reprocheront, même parmi ceux qui, comme nous, ont choisi la voie de Seuil. On ne prend pas le risque de dévoiler les enchantements de Tir-na-nOg ou de Dorcha sans en payer le prix. Mais au-delà de nos voiles, de nos ruses, de nos cruautés… nous devons enfin savoir, oui, comme le disait Elzeriad, “ce qu’il en est, au final, de notre monde”. La Féerie est un piège. Un piège, Morgana, y compris pour nous. À la fin, même cela, ou surtout cela, devra être renoncé, et dissous.»
K.
Léa Silhol, cartographe émérite ès ‘envers du monde’ accompagne l’écrivaine Elisabeth Massal dans le labyrinthe d’une bibliothèque d’ombres et de murmures ; pour déchiffrer au spectrographe et au scalpel les carnets interdits de la ‘Trame’.
Ce premier Vertige s’exerce à démêler, aux côtés du barde Kelis, les écheveaux des Cours de Vertigen, des jours d’Aana aux batailles pour Érin, de la Chute de Tréaga aux pactes de Dorcha, jusqu’au bris des royaumes fae, et la venue des temps de Seuil, tels que relatés dans les romans La Sève et le Givre et La Glace et la Nuit.
Léa Silhol est une romancière, nouvelliste, anthologiste et essayiste française, née en 1967 à Casablanca. Elle a été par ailleurs l'une des fondatrices des éditions de l'Oxymore, directrice littéraire et artistique, attachée de presse, ainsi que musicienne dans le "concept band" Done by Mirrors. Ses univers s'inscrivent dans le champ de la Fantasy Mythique (Le cycle de Vertigen), la Fantasy Urbaine (l'univers des 'Fays' de Frontier), le Cyberpunk (la série Gridlock Coda), le Fantastique, le Réalisme Magique ("Sous le Lierre"), et la littérature expérimentale (La séquence Hyperfocus). Elle vit à l'heure actuelle dans le sud de la France avec sa famille, un chat poseur d'énigmes, et trois lévriers (galgos et podencos) sauvés des massacres en Espagne. Elle y partage son temps entre l'écriture, la musique, et la défense des causes qui lui sont chères.
Je ne garde souvent de mes lectures qu'un large éventail d'émotions, de couleurs et bien peu de détails très, très précis. De mes précédentes plongées dans Avant l'Hiver je me souvenais de la voix de Herne et apprenais à comprendre ce personnage minéral, caché derrière ce masque dont nous ne savions rien avant ce texte. Je me souvenais du journal de Titania, qui nous en apprenais plus sur les ambitions de la Haute Reine de Lumière et l'histoire de la Faerie. Je me souvenais enfin du chant de Fragarach, et de la mêlée dans laquelle son fil venait trancher les vies ennemies. Mais au sortir de cette nouvelle lecture je reste sous le charme de 'La Faveur de la Nuit' et de son ambiance d'encens et d'orient (l'odeurs fait encore frémir mes narines!), je me demande ce que l'Amadan devient et ce qu'il fera-sera quand il reviendra, j'aimerais en savoir plus sur les Usher et surtout j'attend avec impatience la conquête de Seuil...
Histoire de saison : Vous êtes là, vautré dans un coin d’ombre, à maudire l’été, le soleil, le réchauffement climatique et tous les abrutis qui en nient la gravité. Vous vous levez pour la Nuit, et pour elle seule. Vous pensez glace, vous rêvez fjords, et n’êtes que neige fondue. Avec juste assez de force, peut-être, pour mordre le prochain qui vous parlera de « sea, sex and sun », ou des sélections de « livres pour la plage ». Et soudain, sur votre main pendant mollement : la morsure d’un flocon. Avant l’Hiver est là, c’est Noël (mais sans le Père) en plein été, et ça va dérouiller (les esprits). – Oui, bon, mais sérieusement, c’est quoi, ce bouquin ? il est bien, ou pas ? Franchement… non. Avant l’Hiver n’est pas bien, Avant l’Hiver n’est pas bon, Avant l’Hiver n'est pas joli ni joliment écrit. Excellent, oui, beau, interpellant, déchirant, fracassant, sublime, et tous ces adjectifs qui font grincer les dents des tièdes. Nous ne sommes pas dans l’exercice de style poétique, ou la douce romance au merveilleux pays des fées – pas dans l’illusion Seelie, mais dans la magie Silhol, celle qui nous transporte au-delà du voile, en Féerie, et nous fait la grâce de ne rien épargner à ses personnages, ni aux lecteurs.
Alors c’est quoi, Avant l’Hiver ? C’est ‘juste’ un chef-d’oeuvre. L’occasion rêvée (voire, celle que l’on n’osait espérer, même dans nos rêves les plus fous), pour les lecteurs de Léa Silhol comme pour les non-initiés, de découvrir ou mieux comprendre les arcanes et les enjeux de l’univers de Vertigen, créé dans La Sève et le Givre, dans La Glace et la Nuit, et nombre de nouvelles. Un pass VIP pour explorer les coulisses et zones d’ombre du Royaume féerique, avec rendez-vous pris avec des personnages gravement aimés (si je vous dis, au hasard comme ça : Angharad, Nicnevin, Finstern, Elzeriad, Herne, les Filann ?…) Le temps venu d’entrer plus avant dans la cour des grands – dans les Cours des fées. L’on y entre, de fait, au-delà de toute espérance, et sans espoir (ni désir) de retour.
Passée la superbe couverture de cette édition nouvelle… je peine à retranscrire toute la richesse, la beauté, la férocité de l’univers qui se déploie là-derrière. Il faudrait dire le premier vertige, né dès les préliminaires de la multiplicité des voix et des témoignages (un procédé employé de main de maître, et qui avait déjà fait tourner la tête des lecteurs de Fovéa, Leçons de Gravité dans un Palais des Glaces Error_type vol. 1 ) : de l’association de malfaiteurs d’écrivains en quête à la communauté de bardes, les frontières entre réalité et fiction se brouillent d’emblée. Quant aux règles littéraires, elles sont cassées net par Léa Silhol, qui aime faire éclater les codes et jouer avec leurs bris, refaçonnant comme elle l’entend – librement. Parler d’Avant l’Hiver, c’est parler de nouvelles (certes) ; et d’un roman en lambeaux (si) ; et d’actes théâtraux (aussi) ; de carnets et de pages arrachées, de poésie, de lettres et de chants…
Je pourrais ainsi évoquer la formidable structure de l’oeuvre, minutieuse et mystérieuse, parfait reflet de la complexité du monde de Vertigen, et vous lancer sur les traces du barde Kelis, chargé par les siens de compiler les témoignages pour coucher sur le papier l’histoire des Cours féeriques. Page après page, d’exposés historiques en leçons de maths, en passant par de retors cours de sciences politiques, et par des lectures symboliques assorties de commentaires aussi instructifs que réjouissants, nous nous immergeons ainsi dans le « Jeu des Jeux » entre Lumière, Crépuscule et Ombre – cette fameuse danse des Clartés, parfois guerrière, toujours dangereuse, mettant en jeu un équilibre au bord du bris. Les premiers pas de danse s’esquissent alors à la frontière, sur des routes glissantes : l’on y apprend à décliner les notions de justice et de cruauté dans le langage des fées, et celles de fascination et de folie dans les coeurs humains ; l’on y éprouve la température à laquelle le peuple d’Hiver aime savourer ses vengeances (Frost), l’on y frémit d’horreur en anticipant les conséquences inexorables d’un pari, forcés que nous sommes de suivre jusqu’au bout une course à la folie qui semble le reflet grimaçant des courses folles dans lesquelles nous sommes nous-mêmes aveuglément lancés (Over Dry Lands), l’on y découvre l’écrasante puissance des malédictions qui pèsent sur les fées exilées (A Moitié Malade des Ombres)… Un deuxième mouvement nous propulse au coeur du mécanisme des Cours, et dans le coeur des souverains – prenez note si vous n’êtes pas trop occupé à raccrocher votre mâchoire béante, le temps des révélations fracassantes est venu ! sur l’Histoire du Royaume et ses mythes (De l’Or dont on fait les Âges), sur les manoeuvres politiques et les intrigues amoureuses (Stone, texte ô combien beau et cruel), sur la nature et la structure des Clartés (Passing By, Leçon de Clartés). Rien que ça… La lumière baisse, le cliquetis rapide des rouages s’emboitant ralentit, car le troisième mouvement, intense et vibrant, se danse en l’honneur de la Nuit, en l’honneur du seigneur Finstern donc (fascinant personnage déjà bien connu des lecteurs de Silhol, et que les non-initiés découvriront avec plaisir, et plus encore…) : au fil de trois récits infiniment précieux, on découvre à quel point ses faveurs, *toutes* ses faveurs, sont désirées également des dieux et des hommes, et combien elles sont dures à obtenir, et à conserver (A l’Image de la Nuit, La Faveur de la Nuit) ; et en le suivant dans la mêlée ardente des combats (Fragarach), l’on comprend pourquoi beaucoup seraient prêts à le suivre _partout_. Trois temps, donc, et quand survient le quatrième on manque le pas, de surprise, d’émoi, et de peur et d’extase – car Léa Silhol frappe un grand coup, et le lecteur vacille sur ses jambes, ébloui par les visions sur lesquelles se lève cette aube nouvelle. Ne reste plus qu’à l’envoyer rouler au tapis, et c’est chose faite à la lecture de l’épilogue : promesses et menaces assenées de concert en une puissante vague d’émotions…
Mais ce petit tour d’horizon n’est rien, ne suffit pas à faire ressentir le tourbillon émotionnel dans lequel Léa Silhol plonge ses lecteurs. Car passer la porte de cette Bibliothèque des Vertiges, c’est, en bloc et en vrac : tomber dans les textes et les mots, les indices et les non-dits, comme on se noierait dans un des Fleuves de Dorcha / se faire l’ombre de Kelis, pour côtoyer Ombre, et s’aller blottir aux pieds de l’Obscur / sentir jouer les tensions, les résistances, les forces transgressives / vibrer de la « dialectique des désirs » / encaisser les chocs de la tectonique des Clartés / éprouver le poids des nefs que l’on tire / voir passer les cavaliers de Féerie sur des sentiers de traverse / tomber gravement amoureux / goûter aux humours féroces et aux humeurs terribles des fées / bondir sous les révélations, crier de frustration / voir en action la logique d’un monde, et ses twists / recevoir une leçon aussi magistrale qu’inoubliable / s’effondrer en larmes ou s’écrouler de rire / frémir d’horreur et d’extase / assembler les morceaux et partir en miettes / … / … / …
Un chef-d’oeuvre, on vous dit. Intense, subversif, extrême. Indescriptible. Nécessaire. … Lisez-le…