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272 pages, Pocket Book
First published January 1, 2013
Je trouve bizarre de voir les humains se déplacer en masse. Je m'étonne que tout semble parfaitement organisé sans que personne n'ait l'air de savoir dans quel but.
Tout est tellement plus simple quand on n'a pas soif.
Partager ce sac de couchage pour nous tenir chaud et avoir plus d'espace... D'ailleurs, ça réduirait la charge à porter puisqu'un duvet pour deux représenterait 500 grammes de moins et prendrait moins de place !
Je retire du sac à dos ce qui doit rester sec - chaussettes, gants, bonnet et batterie de lampe frontale - et je fourre tout ça dans mon duvet. Je laisse mon sac à dos à l'extérieur, près de la tente, à l'abri d'un rocher et me glisse dans mon duvet. J'y mets aussi mes chaussures mouillées, sous mes pieds, afin qu'elles sèchent à la chaleur de mon corps tout en isolant mes pieds du sol glacial.
Pendant qu'Alexandre commence à faire fondre de la neige avec le Jetboil, je sors chercher un peu de glace ; ça met moins de temps à se transformer en eau et il en faut moins pour y parvenir.
Quand on ne voit pas le paysage, qu'il n'y a pas de lumière et que le cerveau nous engage davantage à dormir qu'à grimper, le seul moyen d'aller de l'avant, c'est de compter mentalement ses pas. Je compte donc jusqu'à cent et je repars de zéro, sans jamais m'arrêter.
Loin de toute vie humaine et même animale, l'immensité qui semble nous absorber me donne tout à la fois le sentiment d'une profonde liberté et une sensation d'oppression à se faire dresser les cheveux sur la tête.
Pourquoi le froid ne s'attaque-t-il pas au petit orteil, celui qui nous gêne plus qu'autre chose ? J'y attrape toujours des ampoules, l'été, quand il fait chaud pendant les longues courses, et il ne sert à rien.
La mémoire déforme tout, mais les images qu'elle ne manquera pas de conserver constitueront toujours ma vérité à moi.
Davantage que de vivres, nous avons besoin de nous changer les idées.
À cette altitude - après deux jours de marche au rythme de 50 kilomètres quotidiens sur des sentiers escarpés -, les monuments religieux qui coupent la route en deux sont de plus en plus nombreux, créant une voie pour la montée et une pour la descente.
Les gens nous regardent, surpris, alors que nous traversons la route avec nos sacs à dos d'où dépassent d'étranges antennes : nos skis.
Nous allons mourir de faim... Nous achetons une douzaine de paquets de biscuits Oreo, une vingtaine de sachets de nouilles chinoises, des sachets de thé et de café avec lait et sucre incorporés, et nous nous offrons le luxe d'y ajouter quelques boîtes de thon et deux tablettes de chocolat. Nous avons apporté des gels et quelques barres énergétiques.
Ce qui devait être simple formalité administrative nous occupe finalement toute la journée. Il faut photocopier des documents, fournir des photos de différents formats et expliquer encore et encore à chaque fonctionnaire pourquoi nous n'avons pas embauché de guide ni sollicité les services d'une agence de trekking.
Je n'ai jamais recherché l'excellence dans la spécialisation : je ne suis pas à l'aise dans le domaine de la compétition. Je préfère la variété : passer d'un kilomètre vertical à une épreuve de 160 kilomètres, d'une épreuve très technique en ski-alpinisme à un marathon de montagne facile. Je pense qu'être un spécialiste est une manières d'apporter son écot et de servir la société mais que c'est très frustrant. J'ai trouvé ma voie dans la polyvalence. Suis-je égoïste ? Sans aucun doute. J'ai grandi dans le culte de l'autonomie et appris à ne pas craindre la solitude.
En arrivant là-haut après trois heures à courir avec un sac à dos rempli de vêtements chauds, de quelques livres et de nourriture lyophilisée pour plusieurs jours, j'ai découvert une nouvelle cabane, beaucoup plus moderne.
À ce moment, nous nous sentons invincibles. Nous sommes au bon endroit au bon moment, et le soleil qui effectue chaque jour son cycle dans le ciel autour de la planète nous donne le sentiment d'être uniques au monde.
Dieu et moi avons donc commencé à courir, nos skis accrochés à nos sacs à dos, dans les rues des Contamines, à l'extrémité ouest ud massif du Mont-Blanc, au début du mois de juin, à minuit.
C'est tout le problème d'être commercial : tu fais des kilomètres et des kilomètres en voiture, mais peu sur des skis...