Un bureau de préfecture, une file d'attente, un espoir - obtenir des papiers. Désormais banale, cette image de l'immigration occulte l'essentiel : ce qui se joue de l'autre côté du guichet. Là, des fonctionnaires examinent les dossiers, jaugent les candidats, statuent sur leur sort. C'est à eux que l’État délègue la mise en ouvre de sa politique d'"immigration choisie". Mais qui sont ces hommes et ces femmes qui décident d'attribuer des papiers ou, au contraire, de reconduire à la frontière ? Comment tranchent-ils ? De quelle latitude disposent-ils dans l'interprétation des règlements ? Au terme de plusieurs années d'enquêtes dans les coulisses des consulats, des préfectures et des services de la main-d’œuvre étrangère, Alexis Spire dévoile la face cachée de cette machine à trier les étrangers. Ceux qu'on éloigne, et ceux qui rejoignent la main-d’œuvre bon marché réclamée par les employeurs. Situés au bas de l'échelle administrative, les personnels chargés de l'immigration sont sommés de "faire du chiffre" et de "traquer les fraudeurs". Cobayes de la "modernisation de l’État", ils s'enrôlent dans cette croisade en croyant défendre le modèle social français.
Cela fait plusieurs années que je veux lire cet ouvrage référence qui approche le droit des étrangers et sa pratique du point de vue sociologique. La lecture d’un des articles dont est tiré le livre m’a poussé à moi-même passer « de l’autre côté du guichet » d’une préfecture. Cette expérience renforce mon admiration pour la qualité de l’analyse proposée. En effet, en traversant le guichet, Alexis Spire permet de déconstruire l’image du bloc monolithique de fonctionnaires aigris et racistes qui est parfois légion dans le milieu associatif. En catégorisant les agents, il permet d’apprehender les contradictions de leur rapport à leur travail dans l’espace de relegation et d’opportunité que constituent ces services. Il décrit également avec justesse les dynamiques et rapports de force à l’œuvre ainsi que le caractère implacable de la politique du chiffre ainsi que l’impact des parcours sur les décisions individuelles qui dénote avec l’idée d’un service purement démocratique des étrangers. J’ai toutefois le sensation que les extraits d’entretiens manquent de contexte et d’explications. Ils peuvent avoir l’air de servir uniquement à appuyer les hypothèses de l’auteur. Sans douter de la rigueur scientifique de l’auteur, le livre - qui s’adresse vraisemblablement à un plus grand public qu’un article de sociologie - m’a paru parfois trop s’appuyer sur une analyse qualitative (l’infiltration et entretiens) et non quantitative. Enfin, la thèse initiale qui voudrait que l’administration ait pour tâche de saper la partie humaniste que le législateur est contraint d’introduire pour justifier ses projets me paraît insuffisamment développée pour emporter ma complète adhésion.