Jump to ratings and reviews
Rate this book

Ceux qui restent

Rate this book

Qui sont ces hommes et ces femmes qui continuent d'habiter dans les campagnes en déclin ? Certains y fantasment le "vrai" peuple de la "France oubliée", d'autres y projettent leur dégoût des prétendus "beaufs" racistes et ignorants. Mais "ceux qui restent" se préoccupent peu de ces clichés éculés. Comment vit-on réellement dans des zones dont on ne parle d'ordinaire que pour leur vote Rassemblement national ou, plus récemment, à l'occasion du mouvement des Gilets jaunes ?

Parmi les nouvelles générations, ils sont nombreux à rejoindre les villes pour les études, puis il y a ceux qui restent, souvent parce qu'ils n'ont pas les ressources nécessaires pour partir. Ceux-là tiennent néanmoins à ce mode de vie rural et populaire dans lequel "tout le monde se connaît" et où ils peuvent être socialement reconnus. Comment perçoivent-ils alors la société qui les entoure ? À qui se sentent-ils opposés ou alliés ?

À partir d'une enquête immersive de plusieurs années dans la région Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de jeunes femmes et hommes ouvriers, employés, chômeurs qui font la part belle à l'amitié et au travail, et qui accordent une importance particulière à l'entretien d'une "bonne réputation".

À rebours des idées reçues, ce livre montre comment, malgré la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, malgré le chômage qui sévit, des consciences collectives persistent, mais sous des formes fragilisées et conflictuelles. L'enquête de Benoît Coquard en restitue la complexité.

216 pages, Paperback

Published October 17, 2019

51 people are currently reading
648 people want to read

About the author

Benoît Coquard

1 book4 followers
Benoît Coquard est sociologue à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra). Il travaille depuis plusieurs années sur les milieux ruraux et sur les classes populaires.

Ratings & Reviews

What do you think?
Rate this book

Friends & Following

Create a free account to discover what your friends think of this book!

Community Reviews

5 stars
152 (34%)
4 stars
205 (46%)
3 stars
71 (16%)
2 stars
9 (2%)
1 star
1 (<1%)
Displaying 1 - 30 of 56 reviews
Profile Image for Zéro Janvier.
1,711 reviews125 followers
June 13, 2022
Benoît Coquard est sociologue, son terrain d'analyse est constitué des campagnes en déclin, en particulier les cantons ruraux de la région Grand Est, dont il est lui-même originaire.

Dans ce livre qui poursuit les travaux de sa thèse de doctorat, il nous propose de plonger dans le quotidien de jeunes vingtenaires et trentenaires vivant dans ces campagnes en déclin. C'est un travail au long cours de sociologue, voire d'ethnographe.

Le titre du livre montre, en creux, l'opposition entre ceux qui restent vivre et travailler dans ces cantons ruraux et ceux qui partent, pour étudier puis travailler, vers la grande ville la plus proche ou plus loin encore. L'auteur fait partie de cette seconde catégorie, tout comme moi, c'est ce qui m'a attiré vers ce livre.

L'auteur montre parfaitement l'articulation entre le déclin économique de ces campagnes et la sociabilité qui s'y exprime autour de "clans", de "bandes de potes" au sens desquelles la solidarité est forte mais s'arrête aux frontières du clan. La concurrence pour les rares emplois stables alimente non pas un repli sur soi, souvent décrit à tort dans les médias, mais un repli sur un clan solidaire en son sein mais en rivalité avec le reste du village, du canton, et du monde. La réputation est également une "monnaie" essentielle dans ce cadre social, puisqu'elle permet d'accéder à des emplois où la recommandation (ou le piston) est indispensable.

Politiquement, ce mode de vie et de pensée se traduit par une forte abstention ou par un vote qui tend très fortement à droite et à l'extrême-droite. L'enquête de Benoît Coquart s'est déroulée pendant de longues années et s'est achevée au moment où le mouvement des Gilets Jaunes commençait à éclore. Il a pu en observer les prémisses mais surtout en comprendre les ressorts dans ce cadre social d'habitude très rétif aux grands mouvements collectifs.

J'ai beaucoup aimé ce livre qui m'a plongé dans un milieu que je connais très mal ou que je ne connais plus vraiment. Je fais partie de ceux qui sont partis, je ne le regrette pas, mais après cette lecture je comprendrai sans doute mieux ceux qui sont restés.
15 reviews2 followers
July 9, 2024
C'est vraiment très particulier de découvrir que les parcours de vie qu'on connait sont en fait extrêmement communs aux campagnes désindustrialisées. J'ai vraiment regretté l'angle mort sur les questions LGBT dans le traitement des rôles très genrés. Le livre n'en parle pas du tout alors que c'est une raison importante de départ et une vie très particulière de l'homosexualité pour celleux qui restent
Profile Image for Maëlle.
11 reviews
September 21, 2025
J'ai bien aimé !! Je mettrais peut-être plus 3,5 que 4, mais j'ai trouvé vraiment important l'attention que portait l'auteur à ne pas contribuer au mépris social qui cible les habitant.es des "campagnes en déclin". Après, j'aurais bien voulu que les analyses aillent plus loin (surtout sur les rapports de genre, ou sur la question du racisme), parfois je restais un peu sur ma faim, mais du coup j'ai trouvé pas mal la postface qui revient aussi sur les conditions d'enquête. En vrai, une bonne lecture, surtout que j'ai l'impression que y'a pas encore tant de livres sur le sujet !
Profile Image for The Sporty  Bookworm.
463 reviews99 followers
April 17, 2025
Ceux qui restent

Ce livre est une analyse sociologique des jeunes de l’est de la France. C’est une étude complète de terrain qui est tirée de la thèse de Benoît Coquard.

Dans ce livre, on apprend le quotidien de jeunes qui, au lieu de faire des études universitaires dans la grande agglomération la plus proche, ont fait le choix de rester dans leur village. Beaucoup font des métiers manuels, dans l’agroalimentaire, le soin à la personne ou la logistique.

L’accent est mis sur les valeurs de cette jeunesse : l’importance de l’amour propre, de la réputation et de la valeur travail. Pour eux, il est primordial d’être un professionnel fiable et de garder la tête haute.

Dans ces milieux, les apéritifs sont réguliers et improvisés. Les gens débarquent chez les uns et les autres pour boire des ricards, du vin ou au pire des bières. Du coup, la peur des contrôles routiers est prépondérante.

Les loisirs de ces jeunes sont, en plus des apéros, la chasse, le football, la boxe ou la motocross. Ces hobbies sont ce qui les soudent et ils forment alors un clan où les solidarités sont fortes.

.Le travail au noir est courant le weekend surtout parmi ceux qui sont dans le bâtiment. Un moyen pour s’en sortir est de rénover les maisons des uns et des autres. Puis, une fois leur réputation des ouvriers et entrepreneurs faite, ils font des chantiers chez des particuliers payés en espèce pour faire un complément de salaire.

C’est un livre intéressant dans l’ensemble. Quand on est originaire de la campagne ou d’une ville moyenne, on n’y apprend pas énormément de choses. C’est juste une description du quotidien de notre jeunesse : des petits boulots, qui m'ont permis de m'en sortir et partir pour une grande ville mais d'y revenir différent.

Ici, dans le sud ouest, et non le nord est, certains sont appelés des vieux mecs ou vielles meufs. C’est comme cela que l’on appelle les personnes qui sont jugées comme ne pas avoir de potentiel, le nouveau terme pour désigner les cas sos.

Je connais, pour ma part, plusieurs couples d'ici qui s’en sortent par une stratégie originale : monsieur est dans le bâtiment et madame est gérante de crèches. Ils achètent des maisons qu’ils rénovent et les transforment en micro crèches. La femme gère alors la micro crèche et son personnel. Une fois que l’affaire est rentable, ils investissent dans une nouvelle crèche ou un local commercial et continuent ainsi. D’autres, plus classiquement, se sont impliqués dans la rénovation de lieux touristiques pour faire des Airbnb en meublé. Ils forment alors un clan de bricoleurs et gérants de crèche qui se pistonnent sur les bons coups à faire et la législation.

Une dernière réflexion : pour un ouvrier du bâtiment ou en usine, le chômeur heroïnomane est un cas sos. Les jeunes des campagnes ont peur de devenir de ceux-ci, d’être déclassés. Pour moi, l’ouvrier du bâtiment qui a pour hobbies les apéros, le football, la motocross ou la chasse est un cas sos, même si j’ai grandi dans ce milieu. J’ai beau y reconnaître mon père, mes oncles et de vieux amis, c’est un mode de vie qui m’est devenu étranger et sans intérêt. Il est difficile de ne pas les juger quand on leur répète que cette routine va les tuer de par leur hygiène de vie, puis de les voir partir les uns après les autres, à l'hôpital pour des accidents de chantier ou au cimetière du fait d'un régime trop riche en graisse, en sucre ou en alcool. Certains meurent avant la retraite, d'autres juste après l'avoir prise.

Puis, le côté viril du mec qui a un travail manuel en devient ridicule. Combien de fois ai-je entendu l'expression à un apéro de maçons, plombiers, charpentiers... "Si à 45 ans, tu n'as pas mal quelque part, c'est que t'es mort !" et ça les fait rire. Moi, ça me désole. En quoi, se bousiller la santé au boulot est valorisant ? Et le pire est qu'ils ne veulent pas aller chez le kiné car c'est pour les faibles.

Enfin, si le chômeur drogué est le cas sos du petit blanc. Si le petit blanc est, dans une certaine mesure, un cas sos pour un membre de la classe moyenne comme moi. De qui suis-je le cas sos ? Probablement d’un médecin ou d’un ingénieur roulant en Tesla, un végan mangeant bio, pratiquant le semi marathon le weekend et lisant Proust dans la Pléiade en attendant ses prochaines vacances au ski ou dans sa résidence secondaire ? Je ne sais pas. Il faudrait un livre équivalent pour les transfuges qui sont sortis avec brio de leur condition ou ceux qui y ont toujours vécu : pourquoi pas "Ceux qui gèrent".
Profile Image for Laurent Kiefer.
Author 6 books7 followers
March 21, 2020

Portrait sociologique d'un sujet d'études trop peu traité : cette France d'en bas, devenue France périphérique, moquée et négligée par les instances dirigeantes, mais également par les citadins qui en fantasment le mode de vie (l'inverse est tout aussi vrai).
Un ouvrage qui expose brillamment la situation locale du Grand-Est, commun à beaucoup de secteurs géographiques laissés en déserrance, qui a conduit au mouvement des Gilets Jaunes : incommunicabilité, sentiment généralisé d'injustice, d'abandon, de fracture sociale irréparable.
Relations intergénérationnelles, transmission des traditions rurales, cristallisation et reproduction des codes sociaux, mais encore influence des groupes sociaux dans les relations conjugales, cette étude aborde sciemment tout ce qui constitue le quotidien de "Ceux qui restent" dans ces campagnes où "il n'y a rien à faire".
Un regret néanmoins, que le discours présente étrangement cet enracinement des ruraux comme une condamnation, une malédiction. Elle tait, paradoxalement, le phénomène assez répandu des néo-ruraux, qui font le choix inverse d'un retour à la terre, et à des valeurs humaines fondamentales.
Peut-être une suite à ce livre passionnant ?
#netgalleyfrance #ceuxquirestent
Profile Image for Mari.
250 reviews
March 4, 2025
trop trop banger j'aime trop envie de faire lire ça a ma famille mais bref... aller bonne journée les good readers
Profile Image for StephenWoolf.
737 reviews22 followers
October 1, 2020
Je fais partie de celleux qui sont partis.

Et je comprends mieux pourquoi certain·es restent : où, ailleurs que dans les régions les plus sinistrées, devenir propriétaire avec un SMIC, un SMIC et demi, même en s'endettant sur 25a ? Sans diplôme, pourquoi partir pour une ville, forcément plus chère, où l'on n'est plus personne ?

Bien sûr, les traits qui se dégagent de ce mode de vie rural et plutôt viril (pourtant, il y a des femmes qui restent, même si la réussite scolaire est davantage féminine, et particulièrement dans les classes populaires : elles sont donc plus nombreuses à partir) ne me font pas rêver : voiture incontournable, pavillon à la déco "black and white de boîte de nuit", dépenses somptuaires pour les plus riches des pas très riches (chat/chien de marque, quad, grosse moto), tv allumée en permanence, ragots et problèmes de bonne/mauvaise réputation...
Pourtant, celleux qui restent y trouvent (en tout cas pour les personnes installées : travail + couple + maison) leur compte. Déjà, l'ailleurs de la grande ville reste flou, est utilisé comme repoussoir. Ensuite, dans la vie locale, on est quelqu'un, on compte, on nous reconnaît, et on peut compter sur une "bande de potes" (si on est un homme, en tout cas). On peut redonner vie à un club de foot de village, un bal, doubler son salaire en bossant au noir, côtoyer les anciens... Il y a moyen d'être valorisé.
Mais ça prend l'eau, un peu. Les ressources (un travail stable, une conjointe...) sont rares et donc l'objet d'une mise en concurrence, parfois entre potes. Il n y a pas assez de travail et, pour les femmes (sauf si elles travaillent dans un hôpital ou une usine -et tout ferme), quand elles en trouvent un, il est solitaire, en horaires morcelés et loin de chez elles. Il devient parfois difficile de faire groupe même si les gilets jaunes montrent bien qu'il s'agit d'une aspiration des classes populaires.
Profile Image for Delphine Pernot.
269 reviews14 followers
April 10, 2021
Un excellent livre pour comprendre la "France périphérique".
Bon point : il se mit très facilement.
Profile Image for Raven.
9 reviews3 followers
September 22, 2024
Instructif. Important. La postface de 2022 également, et même tout particulièrement.
Profile Image for Lola D..
391 reviews54 followers
November 22, 2020
Le sujet de l'ouvrage est passionnant pour une fille des campagnes plus favorisées de l'Ouest comme moi, il y a des similitudes et de grandes différences que je me suis amusée à traquer durant ma lecture, parfois avec nostalgie. Cependant, ce genre d'ouvrages de vulgarisation post-thèse tombent inévitablement dans des écueils certains selon moi : d'abord, c'est un travail sociologique mais qui se veut grand public donc on balance entre références sociologiques pointues mais peu développées, seulement évoquées, et enquêtes de terrain (témoignages, observations) ; ensuite, j'ai l'impression qu'il y a une volonté de complexification de la microsociété, sujet de l'enquête sociologique, via des citations de sociologues références qui finalement utilisent des grandes notions mais ne disent pas grand chose, ou une sur-explication des paroles des habitants pourtant limpides.

Finalement, ce genre d'ouvrage permet surtout un "retour de réalité" pour ceux qui ne sont pas nés et n'ont pas grandi dans ces campagnes en déclin du Grand Est, mais sans qu'une analyse en hauteur, globalisée ou dans le temps long soit possible.
Profile Image for Jean-Pascal.
Author 9 books27 followers
January 22, 2025
Très bon essai sociologique sur les populations rurales des zones abandonnées du grand est. Ici, où je vis, sur le littoral breton, cette population existe, mais elle n'est pas seule et je ne la croise que sous son uniforme de parents d'élèves agressifs. Là-bas, à l'évidence, il n'y a presque plus qu'elle marquée - ce qui m'a le plus étonné - par une très grande rupture homme/femme. Les femmes plus sérieuses en étude quittent en grand nombre les régions étudiées. Celles qui restent n'ont pas un sort enviable. La population locale est aussi marquée par une forte consommation de drogue.
74 reviews2 followers
November 29, 2024
Une étude sociologique très intéressante sur les jeunes dans les zones rurales en déclin. C’était important pour moi de lire ce livre pour essayer de mieux comprendre la fracture, notamment politique, entre les personnes vivant en zones urbaines et celles vivant en zones rurales.

De ma petit bulle parisienne de gauche privilégiée, il est facile d’oublier et de se sentir déconnectée des réalités d’autres territoires avec d’autres formes de socialisation. Ce livre m’a permis de comprendre un peu mieux les dynamiques qui animent les populations de certaines communautés rurales, et j’en suis très reconnaissante.

C’est une étude sociologique, donc il faut quand même s’accrocher - ça faisait longtemps que je n’en avais pas lu. J’ai également trouvé ça assez répétitif par moment. A part ça, si le sujet (et la sociologie) vous intéresse, je recommande !
Profile Image for Eloïse  Lojon.
25 reviews
March 7, 2025
On s’y sent comme à la maison, c’est criant de vérité et ça nous fait rentrer en introspection en même temps, c’est hyper fun de voir notre milieu social et nos origines étudier sociologiquement parce que ça arrive vraiment pas tous les jours
Profile Image for Anouk Loisel.
45 reviews1 follower
July 16, 2025
Il raconte tout le temps la même chose, l'essai aurait pu tenir en 50 pages
Profile Image for Terry Laire.
62 reviews
March 27, 2022
Plongée détaillée chez les jeunes qui restent dans des villages où l'emploi se raréfie, dans leurs solidarités et dans leurs exclusions
Profile Image for maelle.
81 reviews2 followers
May 10, 2025
c’était intéressant mais j’en pouvais plus qu’il répète les meme phrases au bout d’un moment par PITIÉ je soufflais
Profile Image for Anthomansland.
75 reviews6 followers
September 8, 2024
Une excellente enquête ethnographique sur les "campagnes en déclin", du Grand Est, dépeuplés, perdues, "la zone", qui tâche de comprendre pourquoi et comment les "gens" du quotidien continuent, malgré tout, d'y vivre.

Tout comme Benoît Coquard, je suis un des "ceux qui sont partis", étant originaire de ces campagnes "paumées" mais étant partis pour des études. C'est donc avec un très grand intêret que j'ai lu son enquête.

Coquard commence par balayer du revers de la main le terme de "France périphérique". En effet, il convient pour lui de distinguer les campagnes attractives - Sud, Bretagne, etc - des campagnes en déclin, où l'activité touristique peine à décoler tandis que l'activité industrielle, jadis fleuron de la région, est à l'arrêt ou à l'agonie. C'est sur ces "cantons dépeuplés" qu'il enquête, et sur leur spécificités.

Il ressort de l'enquête que le déclin, réel, des espaces ruraux, qui se manifeste par la fermeture d'espaces communs, l'éclatement des lieux de travail, d'enseignement et de sociabilité (puisque le travail est dans une commune à 30 kms du domicile, lui-même à 30 kms de l'école, et qu'il n'existe pas de supermarché dans la commune), a pour conséquence un fort dévleoppement des sociabilités privées, des groupes de potes qui se retrouvent le soir à l'heure de l'apéro, de façon très informelle, régulière et soudée.

En effet, si les bals populaires, les concours de Miss, et les fêtes de villages ont connu une baisse sans précédent (du fait entre autres de la baisse démographique), les "locaux" s'accrochent à un mode de vie basé sur l'autonomie, la solidarité locale. "Ici, c'est la Corse sans la mer", disent les enquêtés, fiers de leur mode de vie axés sur les apéros, la chasse et le foot, leurs logements peu chers, leur maîtrise d'un style de vie à l'opposé du travail de bureau vu comme aliénant, ou de la grande ville vue comme anonyme, déshumanisante, dangereuse. Cela peut être vu comme une forme de justification d'un style de vie radicalement différent de "ceux qui partent": des études courtes, souvent arrêtées avant le Bac, travail manuel.

Le rapport au travail est décrit avec ses propres spécifictiés fascinantes. Pour les jeunes, hantés par l'exemple de leurs aînés qui décrivent une campagne "d'avant" meilleure en tout points (plus de services, plus de travail...), "un homme qui ne travaille pas ne vaut rien". Dès lors, toute forme de fainéantisme, réelle ou supposée, est très mal vue. Les syndicats sont absents et jugés d'un regard très critiques, tandis que dans le cadre d'un licenciment, les ouvriers prennent parti pour le patron en règle générale. Les bas salaires sont vus comme la conséquence de patrons "croûlant sous les charges". En conséquence, le travail au noir, avec le camion de la boîte, est implicitement toléré, et largement pratiqué par les employés pour arrondir leurs fin de mois. De fortes solidarités locales se créeent par voies de conséquence, et le but ultime est bien de se "mettre à son compte" pour acquérir une forme ultime d'autonomie. Le rôle exact du salarié est en général peu important dans le rapport au travail : on dit que l'on bosse "chez" quelqu'un, ou bien "avec" quelqu'un. La relation de salariat est noyé dans un rapport plus interpersonnel.

Ainsi on voit un contraste entre plusieurs attitudes marquées "à gauche" - solidarités, critiques générales du désengagement dans les services publics, critiques des inéglaités, que l'on a pu voir dans les manifestations de gillets jaunes - et un horizon mental marqué "à droite", avec des opinions marquées négatives sur la "grande ville". La télé - "invité permanent", toujours allumé, même lorsqu'on acceuille des autres personnes - joue sans doute un rôle.

L'analyse du mouvement des Gillets Jaunes montre un moment marquant où les populations prennent soudainement conscience de la puissance de leurs actions collectives, et du caractère commun de leurs revendications. Cependant, le mouvement perd très vite de la vitesse lorsqu'il s'agit de le politiser : être trop revendicatif, c'est être taxé de fainéant, risquer d'avoir une "mauvaise réputation", d'être un branleur.

En effet, le mirroir négatif des "bandes de potes", bien intégrées localement et vivant une existance maîtrisée et autonome, ce sont les précaires, exclus du monde du travail. Par voie de conséquence ces précaires sont considérés comme peu fiables, comme des "cassos", et sont exclus également des réseaux amicaux, et donc du travail au noir qui pourrait leur faire sortir la tête hors de l'eau. Les bandes de potes sont le plus souvent des affinités interclasses, et en être exclus, c'est manquer le "tuyau", le "piston" qui parfois peut être indispensables à un emploi pérenne. Les précaires sombrent dans la drogue, habitent les quartiers malfamés des bourgs... un exemple de ce cycle vicieux : les précaires qui ne peuvent pas se déplacer en voiture hantent les rues du bourg et les fêtes de la mairie, et sont associés à l'insécurité, aux bagarres dans la salle des fêtes. Benoît Coquard parle donc "d'autochtonie de la précarité" pour décrire ce fossé entre la classe populaire stabilisée, mêlée à la bourgeoisie locale, et l'ultra-précariat exlus des sociabilités désormais électives.

La place des femmes a un rôle important dans cette analyse. Les emplois offerts aux femmes les conditionnent davantage au précariat - aides à domicile, caisses, call-centers... il en résulte une plus grande propension des femmes à partir chercher un diplôme et un meilleur job. Celles qui restent sont donc souvent dans un relation patriarchale, quoi que Coquard montre qu'elles assurent une forme de contrôle et de modération au sein de la "bande de potes". Si les hommes boivent et parlent ensemble, les femmes restent silencieuses mais peuvent après essayer de contrôler les entrées.

Le dernier chapitre du livre et sa conclusion tirent des conclusions d'ordre politique à partir du tableau social dressé. Les campagnes en déclin sont un territoire qui est passé de la droite à une extrême-droite omniprésente. A ce titre, le livre rejoint et contraste l'analyse de Félicien Faury dans son enquête "Des Électeurs Ordinaires". Contrairement aux électeurs du Sud-Est de la France, les enquêtés de Faury sont dans une situation de déclin marqué, et la question "raciale" se pose moins du fait du dépeuplement et manque d'attractivité. Néamoins, la force du conformise pousse les gens à spontanément se déclarer "100% Le Pen", à enjoindre leurs amis Musulmans de ne pas se revendiquer comme tels. Les rapports au travail, à la sécurité, à la ville, à l'école, favorisent de plus une vision biasée à droite. Enfin, les solidarités locales, privées, des "bandes de potes" les mettent dans la même situation que les "dominants-dominés" de Faury. Ils deviennent ainsi les garde-frontières de leur stabilité relative, se démarquant fortement de la fraction précaire et exclue des campagnes. Ils assènent qu'une "solidarité entre tout les semblables n'est pas possible".

Le clan, interclasse, séléctif, privé, lucratif, l'emporte sur la classe sociale et sur la commune. La traduction politique de ces affinités est une adhésion à une forme de préference nationale. Tout comme Faury, Coquard nuance son analyse par le fait que la politique reste très lointaine et abstraite pour les enquêtés, dont beaucoup ne votent pas. Néanmoins, leur horizon mental est clairement hostile à la "gauche", bisounours, irréaliste, et parfois venant enpiéter sur leur autonomie par davantage de régulations. L'extrême-droite, prônant un repli sur soi assumé et reprenant le slogan du "nous d'abord", est bien plus séduisante. Il suffit alors de laisser la télé et le conformisme local radicaliser. Coquart esquisse l'idée d'une forme alternative d'horizon mental, par example construit sur l'exemple des gillets jaunes, est une forme de solution.

La nouvelle édition (2022) inclut une postface qui décrit la réaction des enquêtés (très positive), pour la plupart heureux et surpris de voir les gens "s'intéresser à eux", ainsi qu'une apologie plus personelle du travail de sociologue.

En conclusion, il s'agit d'un livre passionant, nécessaire, juste, vraie, très touchant. Je ne peux que le recommender.
Profile Image for Quentin.
50 reviews
August 6, 2024
J'ai trouvé l'analyse très fine, autant que la réflexivité sur sa propre méthodologie. Ca tourne quand même un peu en boucle par moments.
90 reviews1 follower
June 15, 2020
Lecture fascinante que je n'ai pas réussi à lâcher pendant une soirée entière. L'exploration des groupes d'amis, des relations de couple et des systèmes de valeurs est extrêmement éclairante et interpellante. De très beaux passages, je pense par rapport à celui sur le club de foot et le joueur qui se retrouve progressivement marginalisé après la reprise du club par une "bande de potes" à laquelle il n'appartient pas.
Quelques regrets cependant :
- je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Édouard Louis en lisant ce livre. Benoit Coquard mentionne une fois l'homophobie (ou son absence supposée) mais ne revient pas dessus, j'aurais aimé en savoir plus sur le positionnement de ses enquêtés sur ce sujet
- pas vraiment de mention non plus de la transition écologique, ou alors en creux quand l'auteur évoque la place de la voiture et l'exclusion dont sont victimes ceux qui n'en ont pas
- et surtout, la position du sociologue par rapport à ses amis / objets d'étude me semble toujours un peu précaire. S'il précise ne pas chercher à les stigmatiser, j'avoue avoir été mal à l'aise devant les nombreuses références à des travaux de sociologie et les concepts exprimés en termes très soutenus (et pas toujours expliqués pour un profane), cohabitant avec les retranscriptions de conversations au ton familier, y compris les fautes de français qui sont conservées. Je ne sais pas si les personnes qui ont fait l'objet de l'enquête ont lu le livre, mais je ne serais pas surprise qu'ils y aient perçu... un certain mépris de classe.

Une de "ceux qui sont partis"
Profile Image for Ezechiel.
93 reviews
October 23, 2025
Ouvrage important où on reconnaîtra beaucoup de situations pour peu qu’on connaisse le milieu qu’il décrit. J’aurais aimé cependant qu’il s’arrête plus longuement sur certaines choses. Par exemple, le vote extrême droite est beaucoup analysé sur le mode de la pensée clanique, le fameux « entre nous ». Ce n’est pas faux mais je pense que d’autres dynamiques rentrent en jeu, comme par exemple l’importance de la « valeur travail » et la volonté de se détacher de « l’assistanat ».

Il s’en explique en postface mais le point de vue des femmes est très peu analysé.

Passer d’avantage de temps avec les « perdus » serait aussi intéressant pour comprendre leur parcours, leur point de vue, et en quoi ils diffèrent des formes hégémoniques de sociabilité. Globalement le livre semble un peu court.

Enfin, je me demande si certaines formes de violence que peuvent exercer les enquêtés ne sont pas minimisées (racisme, homophobie, sexisme, etc.). Quand bien même ils sont eux mêmes dans une position de dominés, ils n’en sont pas moins incapable d’une forme de violence vis à vis de ceux qu’ils considèrent n’appartenant pas à leur clan.
Profile Image for Cucurbitaceae.
8 reviews
April 14, 2025
Une analyse approfondie et marquante des dynamiques sociologiques des campagnes dépeuplées du Grand Est. A travers cet ouvrage, Benoît Coquard met en exergue les différences sociologiques fortes entre les réseaux urbains et la France périphérique, sujet peu traité dans la littérature sociologique. A travers des entretiens de jeunes adultes (25-35ans), on peut y observer la vision des interrogé.e.s sur des territoires dits "en déclin" où les inégalités s'aggravent, en comparant à la génération de leurs parents. On y voit également la place prépondérante du capital social dans tous les registres de la vie quotidienne rurale: l'accès au travail, les réseaux d'entraide, la place des groupes d'amis et la peur d'être jugé.
Profile Image for Orane Maquin.
8 reviews
September 11, 2025
Assez difficile pour moi de donner une note à ce livre. D'abord, dû à son succès plutôt grand public, je ne m'attendais pas à un format aussi académique (mais peut être que j'aurais dû m'y intéresser un peu plus avant de me lancer dans la lecture). Ensuite, le milieu dont il est sujet, s'il reste bien différent de celui dont je suis personnellement originaire, n'en est pas si éloigné et j'ai peut-être beaucoup de mal à rester objective sur le sujet. Le sexisme, masculinisme, racisme, et l'homophobie en font trop systémiquement partie, au point que je ne me sens pas capable de ne pas y porter un certain jugement. Néanmoins, il faut saluer la justesse et la bonne volonté de l'enquêteur dans sa démarche.
29 reviews2 followers
August 23, 2025
Je trouve le bouquin vraiment précieux, dans le sens où il permet de corriger l'image d'un repli individualiste du fait de la désindustrialisation sans pour autant idéaliser la réalité de ces bandes de potes / clans que ce soit sur la possibilité d'être repris par l'extrême droite et les rapports de domination masculine. Ça évite un rapport misérabiliste, montre pas mal les contradictions de ces solidarité sélectives et je trouve pas ça trop jargonant (même si je trouve le passage sur ceux qui partent un peu longuet) curieuse de voir a quel point il peut y avoir le même genre de dynamique notamment en Allemagne de l'est
7 reviews
April 6, 2024
Une enquête d'une qualité exceptionnelle, qui parle d'un sujet de conversation Ô combien régulier chez les jeunes adultes ayant quitté leur campagne pour les études et qui ne sont jamais revenus. J'adorerais lire un second volet pour approfondir encore plus l'analyse, puisque comme le reconnaît l'auteur, "on ne peut pas tout étudier"... Et c'est malheureux, car il y a tant à dire sur ceux qui restent !

Même si je me reconnais dans "ceux qui partent", je constate que venir des campagnes bien plus favorisées de l'Ouest de la France me place déjà à une large distance des enquêtés.
Profile Image for Lux.
11 reviews4 followers
June 27, 2024
188 pages, de longs développements sur la masculinité rurale, mais seulement un mini-chapitre sur le racisme... Et aucune mention de l'homophobie dans les espaces ruraux en déclin du Grand est. Ok Benoît. C'est sûr que c'est marginal, la haine des Arabes, des gouines et des pédés, dans notre belle région. Pas du tout constitutif de l'identité, a fortiori masculine, des personnes que tu as interrogées.
Profile Image for Clara.
30 reviews5 followers
April 18, 2021
Ouvrage super intéressant ! Adapté de la thèse de l'auteur, il est très facile à saisir même pour les personnes (comme moi) qui ne sont pas des sociologues. Il aborde la réalité des classes populaires du Grand Est et l'importance de leur bande par dessus tout. J'ai beaucoup aimé lire ce livre après la lecture de "Leurs enfants après eux" de Nicolas Mathieu, il résonne beaucoup plus.
Profile Image for Romain Geay.
14 reviews
February 18, 2024
Sujet pas assez mis en lumière que celui des campagnes en déclin. Le sociologue dresse un travail minutieux de sa campagne natale nous faisant prendre conscience du manque d'opportunités de celle-ci et de la détresse de certaines populations en son sein. Loin des clichés mais proche du réel à lire si le sujet vous intéresse.
Profile Image for Croustibatcru.
22 reviews
August 17, 2025
J’ai mis un an à le lire. Au début franchement j’avais décroché et enfaite en le reprenant j’ai bien aimé. J’aime bien la manière dont il a construit son enquête même si tout n’est pas parfait, j’aime sa position pas trop lourde. Il en fait pas des tonnes, il appelle à être prudent sur les raccourcis et les analyses creuses sur le monde rural. j’ai aimé
Profile Image for Robin PIrez.
3 reviews
October 27, 2019
Une excellente étude sociologique de terrain, menée au cœur du grand-est, dans une ruralité qui souffre de la désindustrialisation et de l’exil de ceux qui le peuvent. Bienvenue au pays des gilets jaunes, de la débrouille et du repli sur soi et sa bande de potes.
Displaying 1 - 30 of 56 reviews

Can't find what you're looking for?

Get help and learn more about the design.