Daniel Grenier n’a lu que des livres écrits par des femmes pendant une année entière. Il vous offre avec Les constellées une réflexion sur sa position d’homme blanc privilégié, la fiction versus l’autofiction, la mélancolie de Sylvia Plath, la résurgence des voix autochtones, la place du corps des femmes dans la littérature. Il y proclame son amour pour Clarice Lispector et vous fait découvrir l’autrice d’origine québécoise Marie Grace DeRepentigny alias Grace Metalious. Les constellées est le récit autobiographique d’une année de lectures, un compendium de découvertes, un hommage aux vies consacrées à l’écriture.
J’ai adoré. J’ai découvert ou redécouvert plusieurs autrices et leurs textes. On peut bien sûr se demander s’il est légitime pour un homme d'en faire la recension, de se poser en critique ou même en simple admirateur enthousiaste. Je dirai pour sa défense qu’il le fait à la demande de son éditrice et qu’il laisse aussi abondamment parler la littérature elle-même. Le livre est rempli d’extraits plus ou moins longs de textes écrits par plus d'une centaine de femmes. D’où la grosseur du livre! J’ai apprécié le choix des textes, souvent suggérés par des amies de l'auteur, leur regroupement par thématiques ou par approches particulières de la littérature, et la description, plus que l'analyse, de chacun d’entre eux. J'ai aimé aussi la forme du journal choisie pour accentuer la dimension personnelle et humble de la démarche de l'auteur. À quelques reprises, l’auteur n’hésite pas à se remettre en question lui-même, en tant qu’homme et en tant qu’auteur, en réponse à certaines analyses féministes de la littérature. Au final, c'est un livre qui offre pour moi une forme de discussion entre un homme et des femmes. Une discussion qui mène éventuellement à un peu plus de compréhension mutuelle, je l'espère.
Daniel Grenier nous propose un long journal de ses lectures féminines ou non genrées, généreusement truffé d’impressions livrées à chaud : un road trip vers le nowhere et un défi relevé. En quelque six cents pages et répartis sur douze mois, à raison d’un mois par chapitre, ce sont environ cent cinquante livres qui ont formé son corpus pendant une année. Plus d’une centaine de titres sont mentionnés à un point ou un autre de l’ouvrage.
L’œil de Grenier-le-lecteur prédomine :
« Je l’ai souvent répété, je me considère comme un lecteur avant tout, c’est ma véritable passion, dans la vie. L’écriture vient ensuite, par défaut en quelque sorte, par déformation professionnelle. Ici, il s’agit de la parfaite rencontre entre l’écrivain et le lecteur. La rencontre du carnassier que peut être l’écrivain, parfois, dans son besoin inassouvissable d’explorer (d’exploiter) la vie d’autrui, et du lecteur altruiste, qui arrive, parfois, à s’oublier presque totalement pour entrer dans la tête et dans l’âme de quelqu’un d’autre. »
Grenier-l’écrivain, comme il le précise, a souvent aussi son mot à dire, sa perspective en propre, son expérience à mettre à profit. Le jeu est assez réussi. J’ai apprécié que des notions formelles de ses études en littérature viennent à l’occasion préciser un point ou introduire un concept sans réellement se faire didactique. J’ai aimé, entre autres, qu’il réfère à la notion d’exercice d’admiration, qui existait jusqu’ici dans mon imaginaire sans vraiment porter de nom, un nom qui revêt tout le sens qu’on lui entend dès qu’il s’échappe de la plume de quelqu’un d’autre, évidemment. J’ai appris et réfléchi à plusieurs choses en lisant Les constellées et je dirais que c'était le but.
Au fil des pages – des mois – défilent de nombreux thèmes : le corps, le queer, la sorcière en littérature, le rapport au féminisme et à la domesticité, et bien d’autres, dans ce qui tient un peu du dérapage contrôlé.
Février (Les fictives, les autofictives) s’est hissé parmi mes mois préférés :
« Ce n’est pas Dominique Fortier qui parle ici, c’est sa narratrice, mais c’est bien elle qui écrit, et là où ces deux instances se mélangent, là où elles fusionnent et où il devient impossible de les départager, on touche au sublime. »
Septembre (Les influences) m’a bien plu également, alors qu’avant d’enchaîner avec les plumes respectives de Clarice Lispector, Annie Ernaux et Virginia Woolf, entre autres, Grenier-l’écrivain détaille ce qu’il aimerait intégrer à sa pratique en commençant avec Rebecca Solnit :
« Je veux écrire comme Rebecca Solnit. Des livres impossibles à qualifier, à catégoriser, à "genrer". Des livres qui sont à la frontière de l’essai, du récit, de l’autobiographie et de la fiction. Qui sont conçus non pas pour plaire à un certain type de lecteurs ou de lectrices, mais à des lecteurs et des lectrices types. Son influence sur ma vision de ce que peut potentiellement être une œuvre littéraire est incommensurable, même si elle est très récente. »
Les constellées s’inscrit d’emblée dans cet objectif, ce mélange des genres tant désiré. C’est un peu une analyse, c'est clairement un hommage, en même temps c’est souvent autobiographique, les liens se tissent et se défont agilement et on trouve un peu de tout, finalement, dans ce livre.
Daniel Grenier réitère à maintes reprises, tout au long et avec humilité, qu’il est conscient de son statut d’homme blanc privilégié, que l’exercice auquel il s’est livré se veut neutre et autant que possible sans jugement, prenant le parti explicite de la curiosité et de l’ouverture. Ça tombe bien : en tant que lecteur, j’occupais les mêmes chaussures.
J'ai eu une étrange relation avec ce livre. J'ai dévoré le premier tiers, fascinée, intéressée, émue. Je trouvais le projet intéressant, la démarche honnête, la plume extrêmement fluide et les lectures brillantes. Puis, peu à peu, il a commencé à me peser sans que je ne sache trop pourquoi; c'est un peu comme si je me sentais de plus en plus évincée de la démarche, reléguée en marge, étourdie et épuisée.
J'ai alors compris que la vision qui se dégageait de la littérature des femmes était absolument différente de la mienne, de celle que je construis depuis toujours comme consolante et lumineuse pour m'aider à tenir. Ainsi, la lourdeur des sujets abordés par les écrits dont il était question m'accablait, me déprimait, me donnait envie de me rouler en boule. J'avais l'impression de ne rien connaître et de ne rien comprendre. Je ne savais plus si je devais continuer à lire ou non.
J'ai alors réalisé que le corpus choisi par Daniel Grenier répondait - tout comme moi quand je lis, bien sûr! - a certaines inclinations et goûts personnels. Son corpus est ainsi principalement constitué de livres parus au 20e et au 21e siècle et relevant principalement du territoire nord-américain (tandis que je suis plus portée sur le 19e, l'Europe et le Canada).
De plus, il a énormément privilégié les écrits d'inspiration autobiographique, ce qui me chicotait un peu tout le temps, car j'avais l'impression qu'il manquait quelque chose, malgré la grande rigueur de la démarche. Pour ma part, ce que j'ai toujours aimé, ce sont les univers de fiction construits par les femmes, et je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si, en privilégiant les oeuvres et lectures autobiographiques, il n'y avait pas là encore une façon de ramener les femmes à l'intime, au vécu, et non à la littérature.
Je pose la question bien humblement et en tout respect pour l'auteur, car, je le répète, j'ai trouvé la démarche de Grenier impeccable. Le livre n'a simplement pas résonné autant en moi que je l'aurais souhaité, mais c'est peut-être une bonne chose, un biais dont il me fallait me rendre compte. Cela dit, j'ai toujours eu du mal à être en adéquation avec le monde, alors, je me crée des fictions et m'y réfugie. "Les constellées" manquait de fictions dans lesquelles me réfugier, ce qui n'enlève rien à sa qualité.
Ce livre m'a donné envie de lire (presque) tous les livres dont il parle, même si je n'ai pas eu envie de le finir par moments. Peut-être parce que Daniel Grenier l'étudiant-en-littérature n'était jamais très loin et que son discours était parfois trop méta à mon goût. Je crois que le dernier chapitre, où il présente les femmes qui ont véritablement croisé son chemin qu'il n'a pas lues assez tôt, est mon préféré.
Malheureusement, DNF à la page 219. J'avais envie de le lire mois par mois et suivre le cheminement de l'auteur, mais j'ai maintenant 3 mois de retard et je n'ai jamais envie de le reprendre pour poursuivre. C'est juste stressant pour moi de le voir dans ma PAL.
Pour la partie que j'ai lue, j'ai trouvé les réflexions sur la littérature des femmes intéressantes, mais un peu trop woke pour moi. Je pense que si les chapitres avaient été plus concis, j'aurais pu passer à travers, mais la longueur, qui fait pourtant la beauté du projet, est décourageante.
Je pense qu'il faut savoir quand s'arrêter pour se respecter en tant que lectrice et je suis contente de l'avoir fait à ce moment-là.
Je m'attendais davantage à ce que le texte prenne la forme d'un journal de lecture, dans lequel chacun des livres lus serait analysé et commenté séparément. Les lectures sont plutôt regroupées par thèmes – un pour chaque mois de l'année – et présentées dans un texte suivi, au gré des réflexions de l'auteur. Je m'attendais peut-être aussi à retrouver davantage de classiques ou de titres connus parmi ses choix de lectures. Les préférences de l'auteur semblent plutôt tourner autour de l'essai contemporain, du récit autobiographique et de la littérature américaine. D'ailleurs, un nombre important d'extraits non traduits sont en anglais dans le texte.
Tout ça étant dit, différent ne veut pas nécessairement dire décevant. Le projet demeure pertinent, la démarche, louable et le résultat, intéressant. L'auteur aborde son sujet avec beaucoup d'humilité – peut-être même un peu trop! – et évite habilement les nombreux écueils qui auraient pu faire couler le projet. Une grande place a été ménagée aux autrices issues de communautés marginalisées, il est donc abondamment question des littératures autochtone, afro-américaine et queer. C'est un exercice d'ouverture remarquable et un exemple à suivre, un texte qui donne envie d'explorer et d'apprendre. J'en ressort avec une très longue liste de livres à ajouter à ma déjà-très-longue-liste de livres à lire!
Quelle audace. Quel beau projet! J'adore la plume de Daniel Grenier qui propose ici ses réflexions sur une année de lectures exclusivement féminines. Je ne l'ai pas trouvé facile à lire d'un bout à l'autre (c'est toute une brique, quand même!!), mais c'est une véritable mine de découvertes. Une épatante exploration d'autrices de toutes les époques.
Si certain.es pourraient questionner la légitimité du projet (un livre sur l'écriture des femmes écrit par un homme blanc privilégié), je me dis que c'est peut-être justement là l'intérêt de l'exercice. L'auteur est d'ailleurs parfaitement conscient de sa position, qu'il questionne humblement à plusieurs reprises.
Un livre qui donne envie de lire encore plus de livres. (Et que dire de cette magnifique couverture...)
J'ai découvert tellement d'autrices dans cet essai et même si les réflexions que s'est fait l'auteur sur elles ne seront pas les miennes, j'ai vraiment très très très hâte de me plonger dans leurs oeuvres et en tirer mes propres questionnements. Merci à l'auteur et à la maison d'édition d'avoir organiser un tel projet, ce fut très enrichissant (à ce que j'en ai lu, pour l'auteur), mais aussi pour moi. Ça me donne envie de tenter une expérience similaire pour voir comment une telle littérature pourrait me confronter à qui je suis en tant que lectrice... Qui je suis en tant que femme qui écrit? Hmm...
Cette brique est d'un magnétisme étrange. Lorsque j'aperçois la couverture sur ma table de chevet, aucune émotion, aucun désir, aucun élan vers. Mais dès que j'entame une page, c'est l'hypnose. Ce journal est un appétit qui vient en mangeant.
Honnêtement, même si le contenu me paraît d'une justesse soignée, je ne crois pas que ce soit ce qui survive en moi (outre peut-être les passages sur la littérature trans et sur Monique Wittig). Ici, un grand exemple d'une oeuvre qui se distingue non pas par le résultat mais par la démarche.
Pour moi, ce qui rend ce journal particulièrement habitable et fertile, c'est le ressenti unique qu'il me suscite. À sa source, les valeurs dont s'imprègnent la démarche: la curiosité, l'écoute, l'humilité, l'introspection, la nuance, la justesse. Des valeurs qui résonnent si fortement en moi qu'elles me font ressentir une forme d'affinité particulière avec l'auteur. J'oserais parler d'intimité. Peut-être même d'une sororité... masculine? À tout le moins d'une communion, entre deux hommes, mais vers les femmes.
C'est beau quand même, comment la littérature nous agrandit.
🙂 j'ai pris en note quelques titres que je voulais lire. J'abonde dans le sens qu'il faut féminiser et diversifier les corpus à l'école au cégep etc. 😐 je me suis posée bcp de questions sur cette démarche : un homme écrit un livre trop long sur le fait qu'il lit des autrices...est-ce qu'il veut une récompenses pour ça? Est-ce que ceux qui devraient prendre connaissance de cet ouvrage le liront? Je ne suis pas convaincue du tout au final. D'autant qu'il semble surpris à chaque lecture, que les lectures forment un tout, que les lectures choisies sont bien spécifiques. Trop d'enthousiasme c'est comme pas assez. ☹️ quelques passages "autopromotionnels": moi quand j'écris des livres...
« Dans ce livre, je fais la rencontre de mon humilité de lecteur, en face d’une grande voix, nette, précise, claire, nécessaire. » Cette voix, c’est celle de Lee Maracle, romancière et militante sto:lo. Un exemple parmi tant d’autres où Daniel Grenier, le lecteur enthousiaste, engagé, critique et en constante réflexion, nous fait découvrir une perspective à laquelle il est temps de porter l’attention qu’elle mérite et de se « taire et, non pas l’entendre, mais l’écouter. »
Ce livre est une véritable exploration d’autrices à travers les époques. Les réflexions de l’auteur ainsi que les liens qu’il parvient à faire entre toutes ces femmes de lettres sont sidérants! C’est important de redonner aux autrices toute l’histoire qui leur revient, surtout de les enseigner et de les faire connaitre. Une véritable bible des écrivaines !
J'ai entendu parler de cet essai où l'auteur, pendant un an, n'a lu que des livres écrits par des femmes, mais j'ai failli laisser faire quand j'ai vu la grosseur de la brique que représente cet ouvrage 😮. La deuxième moitié des 600 pages s'est lu plus rapidement que la première et c'est aussi dans cette partie que j'ai noté plus de noms d'autrices que j'ai envie de lire ou relire.