Pour comprendre la place qu'occupent aujourd'hui Éric Zemmour et ses idées réactionnaires dans l'espace public français, ce livre analyse ses écrits en regard de ceux d'Édouard Drumont, pamphlétaire d'extrême droite de la fin du XIXe siècle et du début XXe. Il met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire.
La place qu'occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l'espace public français suscite l'inquiétude et la consternation de bon nombre de citoyens. Comment un pamphlétaire qui alimente constamment des polémiques par ses propos racistes, sexistes, homophobes, condamné à plusieurs reprises par la justice, a-t-il pu acquérir une telle audience ? Pour comprendre ce phénomène, ce livre replace le cas Zemmour dans une perspective historique qui prend comme point de départ les années 1880, période où se mettent en place les institutions démocratiques qui nous gouvernent encore aujourd'hui. Ce faisant, il met en regard le parcours d'Éric Zemmour et celui d'Édouard Drumont, le chef de file du camp antisémite à la fin du xixe siècle. Car les deux hommes ont chacun à leur époque su exploiter un contexte favorable à leur combat idéologique. Issus des milieux populaires et avides de revanche sociale, tous deux ont acquis leur notoriété pendant des périodes de crise économique et sociale, marquées par un fort désenchantement à l'égard du système parlementaire. Dans ce saisissant portrait croisé, Gérard Noiriel analyse les trajectoires et les écrits de ces deux polémistes, en s'intéressant aux cibles qu'ils privilégient (étrangers, femmes, intellectuels de gauche, etc.) et en insistant sur les formes différentes que ces discours ont prises au cours du temps (car la législation interdit aujourd'hui de proférer des insultes aussi violentes que celles de Drumont). L'historien met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire, et propose quelques pistes pour alimenter la réflexion de ceux qui cherchent aujourd'hui à combattre efficacement cette démagogie populiste.
Gérard Noiriel is a French historian. He is one of the pioneers of immigration history in France. He has also focused on the history of the working class, as well as on interdisciplinary and epistemological questions in history. In this regard, he contributed to the development of socio-historical studies and was involved in founding the journal Genèses. He is a director of studies at the École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS).
L'ouvrage vise à comprendre ce qui entoure la pensée de Zemmour, c'est à dire le contexte historique de la pensée d'extrême droite, les origines de cette pensée, les intérêts qui sont en jeu, les objectifs associés à ces intérêts, mais aussi une analyse de la rhétorique et le rapport à l'audience de cette pensée.
On voit ainsi que Zemmour n'est pas unique, il n'est que dans la continuité d'Édouard Drumont et de son antisémitisme notoire. Il utilise les mêmes artifices rhétoriques comme la position anti système et la posture de victime, associé à la dénonciation et la recherche du scandale permanent, afin de s'attirer un public qui recherche cette posture. Zemmour a l'originalité de s'adapter aux échecs de Drumont en s'éloignant de la politique, un échec certain quand on voit comme Camus s'est planté aux élections européennes (0,01% mdr) pour se concentrer sur la diffusion de ses idées dans un espace médiatique où il est en position de monopole. Il jouit d'une capacité à imposer ses idées dans cet espace et à déterminer ce qui est important ou non, donc à orienter le débat public, pourquoi s'en priver ?
Cette position de monopole s'explique par le fonctionnement inhérent à la marchandisation de l'information, faisant que les individus susceptibles de créer de l'attention vont générer du profit financier, ce qui va conduire à une accentuation de leur exposition, et ainsi de suite. Merci le capitalisme. De même, les maisons d'édition, à partir d'un succès littéraire comme ceux de Zemmour (à relativiser car 94% des personnes qui ont acheté Le Suicide Français en format numérique ne l'ont pas fini selon la plateforme Kobo qui vend la version numérique) vont en profiter pour faire ressortir des vieux livres antisémites qui ont "raté leur public" à leur époque. Merci le capitalisme x2.
On comprend ainsi que la motivation des personnes comme Zemmour n'est pas dans la recherche de la vérité scientifique ou les faits, mais dans la recherche de l'attention, de la propagande et de l'enrichissement financier.
Ainsi, il est impossible de gagner un débat contre ce genre de personnes car elles ne céderont jamais un iota de leurs positions politiques car ce serait perdre de l'argent, et c'est essentiel de leur point de vue. En dehors de ça, il faut saisir qu'un débat n'est pas une question de faits ou de théorie, des dizaines de chercheurs ont déjà fait un travail de debunkage de Zemmour parfois même en direct face à lui, mais une question de rhétorique et spoilers, sa rhétorique est construite de manière à gagner une discussion de manière systématique, même quand il perd factuellement cette discussion.
Comment faire ? Construire une nouvelle rhétorique, plus forte, plus adaptée. Soutenir les outils de communication qui sont émancipées de la logique capitaliste, ou du moins raciste, pour essayer de réduire ce monopole de l'information. Est-ce possible ? Peut être. Est-ce facile ? Certainement pas. Mais ce qui a été construit sur plusieurs décennies ne peut pas se casser en quelques jours, sauf avec des bons outils.
Le livre est de taille moyenne (253 pages ebook sur mon téléphone) pour un prix plutôt élevé (19€) mais ça peut être une très bonne base pour les personnes qui s'intéressent à Zemmour et qui voudraient le comprendre ainsi que comprendre ce qu'il défend comme système et comme intérêts.
Excellent livre à mettre dans toutes les mains : facile à lire et à comprendre, avec une mise en perspective historique de l'antisémitisme (à travers le cas d'Édouard Drumont, un pamphlétaire du XIXe siècle) et de l'islamophobie (à travers le cas d'Éric Zemmour) comme pathologies du système démocratique.
L'auteur, un chercheur en histoire reconnu pour la qualité de ses travaux, commence avec le rôle de la presse, qui au moment de sa massification (fin du XIXe siècle), a bien dû trouver comment intéresser toutes les couches de la population aux sujets politiques. En s'appuyant sur les recherches de Marc Angenot, l'auteur explique comment les journalistes de l'époque ont commencé à commenter les événements politiques en les intégrant dans des récits de type « fait divers », suivant un modèle agresseur / victime / policier ou juge. Le fait que ce modèle perdure toujours aujourd'hui montre comment se construit l'opinion publique (p. 29). Cette volonté d'introduire scandales, provocations et polémiques dans la presse pour rester compétitif est par ailleurs considérées par l'auteur comme une des causes majeures de la résurrection de l'extrême droite dans la vie politique française au début des années 80' (p. 56). Plus loin dans le livre, l'auteur revient sur ce point, en montrant la difficulté de combattre les dérives identitaires à cause de cette loi de l'offre et de la demande dans le monde des médias (lui aussi soumis aux lois du capitalisme), mais aussi la banalisation des propos des polémistes au-delà des cercles d'extrême droite (p. 228-229).
Les deux pamphlétaires ont recours aux mêmes types d'arguments : cette idée que les juifs/musulmans feraient la loi « chez nous » en France, qu'ils dégraderaient « notre » langue par exemple en la créolisant, qu'ils ont des noms à coucher dehors (ce qui marquerait un refus d'intégration), qu'ils imposent leurs coutumes d'ailleurs comme le hijab ou le halal, et enfin qu'ils sont des « Français de papier », car ils ne seraient pas « vraiment » Français (p. 107-112).
Une partie du propos de l'auteur vise à défendre les historiens de métier, sans cesse attaqués par Drumont et Zemmour comme des destructeurs de la France. Or, la méthode historique consiste essentiellement à trouver des sources, les confronter et vérifier leur authenticité, ce que ne prennent pas la peine de faire les deux pamphlétaires. Tant bien même ils le feraient... ce qui les différencie radicalement des historiens de métier, c'est que ces derniers évitent les jugements de valeur. Rappelons que ce n'est pas le travail des historiens de distribuer les bons et les mauvais points ni de siéger dans un tribunal de l'histoire (p. 126). Les polémistes se plaignent de ne pouvoir engager de discussion « sérieuse », voire d'être « incompris », dans une rhétorique qu'ils font reposer sur un clivage eux/nous. Ce « nous » permet aux polémistes de tisser un lien avec leur public et de le mobiliser contre « eux ». Gérard Noiriel passe en revue plusieurs stratégies mises en place par les deux pamphlétaires pour rester crédibles dans l'espace public, notamment leur propension à faire croire que le match se joue en terrain neutre, alors qu'il se joue sur leur propre terrain, où tout va être interprété comme un jugement de valeur (par exemple dénoncer des coupables ou des victimes de l'histoire), ce qui nourrit et entretient le sens commun et leur permet de toujours avoir le dernier mot (p. 159). La question n'étant plus de savoir si Zemmour dit vrai ou faux, puisque le débat se situe dès lors sur un plan moral, ne reste que l'illusion qu'il serait victime d'un mépris de classe.
L'auteur insiste également sur le fait que Zemmour tente de faire croire qu'il est censuré ; il est omniprésent dans le monde audiovisuel, tandis que les historiens qu'il accuse sont absents dans les grands médias (p. 161). Zemmour utilise par ailleurs le scandale pour se promouvoir, comme en témoigne son passage par l'info-spectacle dans les années 80' (émissions type Face à Face).
Le livre vaut la peine d'être lu et découvert. Les dernières pages sont consacrées à ce qui pourrait permettre d'apporter une réponse sociétale à ces discours polémistes : l'une des pistes suggérée est de produire des descriptions et des approches de ces « autres », de ces étrangers différents à travers le cinéma, la littérature, etc. pour réduire le fossé entre le discours public touchant les étrangers (le fait d'adhérer à des discours antisémites ou islamophobes) et la sphère privée (le fait de connaître vraiment et personnellement des étrangers). Espérons que les œuvres des années à venir permettent de combler ce fossé !