Longtemps, les femmes ont été absentes du grand récit des migrations. On les voyait plutôt, telles des Pénélope africaines, attendre leur époux, patientes et sédentaires. Il n'était pas question de celles qui émigraient seules. Elles sont pourtant nombreuses à quitter leur foyer et leurs proches, et à entreprendre la longue traversée du désert et de la Méditerranée.
Fondé sur une recherche au long cours, menée aux marges de l'Europe, en Italie et à Malte, ce livre est une enquête sur la trace des survivantes. Au fil des récits recueillis, il restitue leurs parcours, de déchirements en errance, de rencontres en opportunités. Entre persécutions, désir d'autonomie et envie d'ailleurs, les causes de leur départ sont loin d'être simples et linéaires.
Les Damnées de la mer offre ainsi une remarquable plongée dans leur vie quotidienne, dans des centres d'accueil où leur trajectoire est suspendue, dans l'attente d'une reconnaissance de cette Europe qui souvent les rejette. L'ennui et la marginalisation sont omniprésents. Mais ces femmes sont également résistantes et stratèges, à la recherche de lignes de fuite.
En restituant les multiples facettes de ces destinées, ce livre décline l'histoire des migrations en Méditerranée au féminin. Il refuse les clichés binaires qui opposent la migrante-victime à la migrante-héroïne pour adopter le point de vue de l'expérience des femmes : non sans tensions, l'autonomie qu'elles mettent à l'épreuve apparaît à la fois comme le support et l'horizon de leur projet migratoire.
« Féminiser le regard, c’est défendre une perspective qui nous éloigne de certains discours victimisants et surplombants sur la migration féminine, en mettant au jour la capacité des femmes à traverser les frontières et à construire leur propres trajectoires […] À rebours de l’émancipation, la notion d’autonomie que j’ai développée dans ce livre renvoie à des processus complexes et nuancés : l’autonomie est une expérience mouvante, relationnelle, réflexive, toujours partielle et sujette à contradictions. » (p.199)
Il y a trop peu d'essais accessibles au grand public sur la question des femmes migrantes, sur leurs parcours et trajectoires. Le travail de Camille Schmoll, mené dans une perspective féministe, est absolument nécessaire.
D’utilité publique. Camille Schmoll dresse le tableau de ces femmes qui prennent la mer pour fuir leur pays (s’opposant ainsi à l’imaginaire collectif qui associe la migration aux hommes). Ces femmes qui, après un long et périlleux voyage jusqu’aux portes de l’Europe, se retrouvent enfermées dans la « frontière », qui n’est plus seulement une ligne imaginaire organisant la vie géopolitique, mais un lieu mouvant, dans lequel de nombreux acteurs y trouvent une place bien précise et dans lequel peuvent naître de nouvelles formes de résistances. Endroit qui, pour certaines, s’avère être pire que tout ce qu’elles avaient imaginé.
51% des migrants internationaux sont des femmes. Et ce phénomène n'a rien de nouveau. Elles représentent également 30% des demandeurs d'asile en Europe. Pourtant, celles-ci sont bien souvent absentes des imaginaires sur la migrations, ou plutôt considérées comme des "suiveuses", qui partent avec leur famille ou pour rejoindre quelqu'un d'autre déjà sur place. Une erreur corrigée page par page dans cet essai très complet de Camille Schmoll, sur les pas de ces femmes du départ au point d'arrivée, du mouvement aux moments d'attente dans les camps en Europe. C'est un sacré tableau à brosser en quelques 200 pages : raisons qui poussent à migrer (et qui évoluent au fil du chemin), témoignages de femmes migrantes, faits sociologiques, vulnérabilité sur les routes de l'Europe, politique de l'intime dans les hotspots européens, résistances à différentes échelles... Un chemin de violence, aussi, avec des passages très durs, des faits effarants (75% des femmes nigérianes arrivées en Italie sont victimes de la traite d'être humains par exemple...), mais en tout cas une vraie pépite pour comprendre la spécificité des migrations féminines, ainsi que les oppressions qu'elles subissent d'un point de vue intersectionnel (donc en tant que migrantes venant du Sud ET en tant que femmes).
J'ai trouvé la balance entre vulgarisation scientifique, sources référencées et témoignages très juste également, même si je me demande s'il n'y a pas beaucoup de termes nouveaux, pas toujours nécessaires pour le propos, et qui peuvent rendre la lecture un peu plus ardue pour un ou une néophyte complet. Cela dit, c'est certainement un excellent ouvrage à mettre en toute les mains.
Étude intéressante sur la migration africaine féminine en Méditerranée. J'ai beaucoup apprécié les témoignages, l'analyse du voyage effectué par les migrantes, de leurs conditions de départ, la description de l'évolution de la politiques européenne et plus particulièrement italienne, l'analyse des types de camps, leurs fonctions, leurs problèmes, leurs apports pour l'économie locale (souvent oublié). J'ai été moins convaincu par la dernière partie sur les sphères intimes et domestiques des femmes, possibles espace d'émancipation, trop théorique à mon goût. En résumé, j'en ai retiré plein d'éléments intéressants expliqués de manière claire et abordable.
Très bon livre qui met en perspective ce que l’on sait sans vraiment savoir. La souffrance des toutes ces personnes et ici de toutes ces femmes qui voient en l’Europe l’espoir. Espoir que nous ne méritons pas de représenter. Espoir d’une vie meilleure qu’elles ne sont pas sûres d’atteindre après leur long voyage, et qu’elles font tout de même, parce qu’elles osent espérer. Elles sont Ulysse rentrant de Troie, l’Europe est Ithaque, Pénélope. Ou alors elles méritent cette comparaison courageuse mais l’Europe ne l’a mérite pas. Ces bras ne sont pas ouverts comme l’étaient ceux de Pénélope, assise à son métier à tisser.
Lecture difficile de part le sujet abordé et le malaise qu'il suscite dans votre conscience humaine et citoyenne. Toutefois, je vous invite à le lire pour sortir de votre point de vue et adopter celui de celles qu'on entend rarement : les femmes migrantes venues de l'autre côté de la Méditerranée. L'autrice, géographe, a évidemment un propos scientifique dans cet ouvrage mais rend très accessible le propos de sa recherche.
Livre coup de cœur de 2025. Cumuler témoignages à une étude ethnographie est particulièrement pertinent et j’ai beaucoup appris sur la complexité que représente la migration féminine, notamment en démystifiant les dynamiques qui l’entourent
L’autrice de cet ouvrage adopte un point de vue utile pour mettre en avant les femmes (très souvent invisibilisées) qui décident de changer de vie pour venir en Europe. Utile pour comprendre le long et dur périple qu’elles doivent réaliser.