"Tu as coupé à un nombre conséquent d'enterrements, petite veinarde. Tu as échappé à tous ces coups qui un par un nous assomment et nous laissent comme des boxeurs groggy dans l'attente du gong final, tu as échappé aux plaintes et aux gémissements, partie avec sagesse et un brin de désinvolture dans la pleine force de tes vingt ans, nous laissant aux tracas des deuils, des héritages, de l'absence, des tristes lendemains."En publiant Une amie de la famille, récit centré sur la mort de ma soeur Annie et le silence qui dès lors a enseveli ma famille, je n'imaginais pas que ce livre allait provoquer tant de réactions, révéler tant de coïncidences, amener tant de retrouvailles, de surprises, de découvertes. Tous ces signes attestaient de la puissance de l'écriture, de ce qu'elle rend possible, de ce qu'elle délivre ou dénoue. Alors j'ai décidé de dire à Annie ce que les vivants m'ont raconté d'elle, de lui montrer à quel point elle est restée présente. Je lui confie ma vie faite de rencontres, de livres écrits ou lus. Je mêle mes traits aux siens et à ceux des amis disparus. "La vie des morts", disait notre père, persuadé que sa femme et sa fille continuaient de lui parler. Ce n'était pas un songe de vieillard, c'était la simple vérité.J.-M. L.
“La vie des morts” est la toile sur laquelle Jean-Marie Laclavetine dépeint à Annie, sa sœur décédée à vingt ans, la façon dont sa disparition a affecté bien entendu ceux qu’elle a connus, mais aussi les autres, ceux que l’auteur a rencontrés durant les cinquante ans qui ont suivi sa mort. Il y rapporte également les mots reçus des lecteurs après son précédent ouvrage dans lequel il s’adressait déjà à elle. La narration est douce malgré l’inébranlable mélancolie que l’on décèle derrière chaque phrase. La lecture ne devient jamais irrespirable de douleur et ce parce qu’on découvre au fil des pages un homme ayant indéniablement achevé son deuil. Cependant, le récit se défait de son rythme par la succession brute des descriptions de connaissances de l’auteur qui fait perdre de vue le fondement du propos. On est progressivement amenés à se questionner sur les notions de vie et de mort. Mourrons-nous vraiment dès lors que nous disparaissons? Probablement pas, on disparaît en laissant ceux qu’on a profondément aimés, confusément appréciés voire même brièvement haï. C’est pourquoi il semble déloyal de prétendre qu’on est mort alors même qu’en disparaissant on fait se remémorer à tant de personnes les moments passés ensemble, les phrases qui auraient pu être mieux dites, les peines qui auraient dû être évitées et les sentiments coupables assumés. Ces souvenirs sont nécessaires, ils sont la vie des morts. Celle à laquelle on se rattache pour repousser le jour où sera venu notre tour d’être abrégé aux souvenirs gardés de nous, de passer du côté de ceux qui “étaient”. Les morts survivent à travers les vivants, souvent grâce à des détails d’apparence anodine, un rire, un regard, une chanson, même parfois une scène de film. Patrick, ancien camarade d’Annie, a écrit à l’auteur se souvenir, lors de son premier jour à la faculté, de la façon dont celle-ci s’est penchée vers sa voisine pour lui parler, annihilant le jeune homme sur place. Si l’ouvrage s’intitule “la vie des morts”, c’est parce que la mort n’est pas vraiment la fin de la vie. La fin de la vie, c’est la fin des souvenirs. Saint Augustin, au cinquième siècle, écrivait “les morts vivent tant qu’il y a des vivants pour penser à eux”. Plus de seize siècles plus tard, en 2019 puis en 2021, Jean-Marie Laclavetine a rendu sa sœur plus vivante que nombre de nous ne l’avons jamais été.
Citations:
“Nous tous, lectrices, lecteurs, cherchons dans les romans et les récits ces correspondances délicates, le sentiment que c’est bien de notre histoire personnelle qu’il est question, même s’il s’agit de fictions”
“Ce fut un très beau repas d’enterrement, nous avions rarement autant ri; pour faire la nique au cancer on fuma beaucoup, on chanta comme des trous et on but à gorge déployée.”
Tout comme j’avais adoré la lecture d’Une amie de la famille, j’ai aimé celle de La vie des morts. Tout comme j’avais trouvé le titre du premier ouvrage excellent, j’ai admiré aussi l’esprit du second. Jean-Marie Laclavetine y poursuit sa conversation imaginaire avec Annie, son « impérissable frangine » après les cinquante années de silence qui ont suivi sa disparition brutale en 1969. Et c’est magnifique. Bien au-delà du silence familial brisé, beaucoup de lecteurs ou d’anciennes connaissances ont été touchés par la minutieuse enquête qui redonnait une vie littéraire à la sœur de l’écrivain. Leur parole s’est aussi libérée sous forme d’innombrables messages, « de lettres reçues, de rencontres inattendues », trop de coïncidences et de surprises pour que Jean-Marie Laclavetine puisse en rester là. L’écrivain y a senti « la puissance mystérieuse de l’écriture », ce qu’elle rend possible, ce qu’elle ne répare pas, mais « ce qu’elle délivre ou dénoue ». Il fallait maintenant qu’il raconte à sa sœur tout ce qui s’était passé sans elle ou grâce à elle, les livres qu’elle ne lirait jamais, les personnes qu’elle ne rencontrerait jamais. Il a donc décidé de reprendre la plume pour prolonger presque naturellement le récit précédent et rendre compte cette fois de la surprenante et étrange présence dans nos vies des êtres chers qui nous ont quittés. On pourrait craindre un récit cafardeux, mélancolique ou déprimant et qu’on trouve d’ailleurs par moment, celui d’un homme qui « avance vers une défaite annoncée ». Mais si l’on y rencontre de nombreux trépassés hauts en couleur, réels ou fictionnels, qui ont compté pour l’écrivain, le ton quoique nostalgique n’a rien de lugubre ni d’indécent. Bien au contraire, l’écrivain y boit à la mémoire de ces chers disparus (à la santé de nos morts si j’ose dire), les invite à table pour passer un bon moment, parle d’eux avec tendresse et simplicité, en termes pudiques et joyeux, dresse de magnifiques portraits de ses intimes (Georges Lambrichs, Roger Grenier ou François Cavanna) en les plantant comme des arbres dans un jardin vivant. Bref, un magnifique livre sur l’amitié et sur comment l’entretenir (« parler de tout et surtout de rien »), sur la nécessaire fraternité des endeuillés pour conjurer la peur de mourir, sur la mouvance des souvenirs et le caractère trompeur ou farceur de la mémoire, sur le pouvoir spirituel de la littérature qui ne guérit de rien, ne ressuscite personne, mais qui permet grâce aux mots de relier « les vivants entre eux, et les vivants aux morts ». Un récit sur les morts qui revitalise.
Un catalogue de souvenirs décousus de l'auteur sur ses morts et, une liste de messages flatteurs sur son précédent livre, "Une amie de la famille", de la part de ses lecteurs. Les cimetières sont remplis de gens biens comme si la mort rendait les gens parfaits. Cette lecture m'a ennuyée. On en oublie que ce livre est une lettre écrite à sa soeur. Elle est absente. Et puis rappelée de façon maladroite, temps en temps pour justifier le récit de ses morceaux de vie... ou bien j'attendais autre chose de ce livre. Et, je suis déçue.
Ce livre a été à coté de mon lit pendant un longue moment. J’ai une maladie – j’achète trop de livres et j’emprunte trop de livres. La Vie des Morts appartient à la bibliothèque de l’IFT a N’Djamena. Le bibliothécaire, Baptiste Kouldjim, est un ami – je ne veux pas lui fâcher et pour cette raison j’ai lu le récit de Jean-Marie Laclavatine hier. Pendant 200 pages, il parle à sa sœur décédée ainsi que plusieurs autres amis qu’il a perdu pendant des années. C’est doux, c’est bon, c’est inspirant ; et il m’a convaincue d’écrire plus, surtout sur des sujets difficiles. Merci.
La suite d'"Une amie de la famille". Discours avec la soeur disparue au sujet d'amis et connaissances disparues. Une méditation sur la mort, les morts et leur vies.