" Renverser les rapports de pouvoir aboutit à inventer, à créer, à ouvrir les possibles de la poésie quotidienne des vies que l'on dit minuscules et qui n'en sont pas moins belles, et souvent d'une dimension échappant aux optiques altérées des détenteurs du pouvoir de la langue. " Cécile Canut La langue française est le produit d'une histoire. Elle s'est patiemment construite à partir du xviie siècle, à la faveur de préoccupations d'ordre plus souvent politique que culturel. Homogénéisée, fixée, standardisée au motif d'affermir l'unité nationale, la langue a progressivement mis de côté la diversité des pratiques langagières que, par ailleurs, librement, continue de recueillir l'activité de parole. Au nom de sa domination, la langue a entraîné des hiérarchisations propres à dévaloriser des formes non institutionnalisées ou non écrites remisées dans des catégories mal perçues : patois, dialectes, pidgins, mélanges, petit-nègre, etc. Au temps de la colonisation, ces hiérarchies ont été exportées afin d'imposer la langue dite civilisée du colon aux locuteurs des langues africaines mésestimées : sans écriture, sans complexité, sans " grammaire ", celles-ci n'étaient pas considérées comme de vraies langues. Il n'empêche : " kan " en bambara, ou " làkk ", en wolof, ne désigne pas tant la " langue " que " le parler " ou même toute manière de communiquer dont dispose un ensemble de personnes à un moment donné dans un espace donné... De sorte que c'est à une tout autre façon de penser le langage que nous porte la considération rendue aux pratiques langagières. Observer la vie du langage à partir de la notion de " parole " change la manière même d'appréhender la société et l'histoire. À travers les particularités liées aux interactions, aux dialogues, aux échanges que suppose ce terme, il paraît salutaire de vouloir repenser la perspective : à rebours de ce que montre un examen de l'imposition du discours managérial à dominante autoritaire en milieu néolibéral, parler constitue à la fois un devenir et un moyen d'émancipation. En observant l'éclosion d'une parole libre en 1968 ou plus récemment, en 2019-2020, celle des Gilets Jaunes, en se penchant sur la profusion langagière avec l'exemple du nouchi de Côte-d'Ivoire, ce livre se veut un retour à la parole comme force vive des rapports humains face aux rapports de pouvoir que cherche à instaurer la prévalence de " la " langue.
Mitigé sur celui là. Il commence de façon très belle, poétique et forte, recontextualise des choses très importantes et remet en cause avec une bonne radicalité la notion même de langue.
Mais après cela il a le défaut (du point de vue de ce que je recherche dans les livres) de beaucoup d'essais, qui est de soutenir des thèses très fortes en les justifiant de façon très faibles ou très partiales puis de partir sur un discours valorisant ou glorifiant certaines pratiques (conformément à une certaine vibe, ce qui fait que si le livre trouve son public il va etre apprécié) au nom de ces thèses.
En gros, ici, le problème est le statut de la langue et son rapport avec les actes de paroles et la pragmatique, et le rôle des normes est évacué de façon beaucoup trop rapide et légère, aux moyens semble-t-il d'évidences politiques (l'autoritarisme c'est moins bien que la spontanéité, etc.) qui permettent des glissements ou raccourcis logiques.
Ça m'a beaucoup fait réfléchir avant de beaucoup m'agacer donc voilà. Mais je suis un lecteur dur sur ces choses là, le livre est quand même recommandable, surtout si vous pensez que l'autoritarisme c'est moins bien que la spontanéité, et autres idées participant de cette même vibe.
petit livre sociolinguistique passionnant. je ne sais pas s'il serait abordable à toute personne n'ayant pas les notions premières de linguistique et de sociolinguistique, mais ça vaut le détour !