En évoquant le temps qui passe comme celui qui est passé, le temps suspendu de nos espérances comme les temps durs qui secouent l’actualité, Jean-François Nadeau s’attache à de menus détails de l’existence – les montres ou les vêtements que l’on porte, le chant d’une communauté d’Inuits dans l’Arctique, un livre qu’il a lu, le souvenir de faits historiques oubliés – afin de mieux sonder les servitudes de notre époque et rappeler que les chemins que l’histoire emprunte ne sont jamais tracés à l’avance.
Chroniqueur au journal Le Devoir, Jean-François Nadeau est le journaliste que je lis le plus assidûment. Chaque lundi matin en ouvrant le journal, c'est un grand plaisir de lecture pour moi de le suivre dans ses réflexions sur des sujets toujours aussi pertinents, à savoir la défense du patrimoine et des petites gens, les excès du néo-capitalisme, les bourdes de nos dirigeants politiques, etc. Ce recueil de textes, dont plusieurs ont déjà été publiés dans le quotidien ou ailleurs, ratisse large pour nous mettre en présence de tous les écueils qui sont l'apanage du Sale Temps que nous traversons comme société nord-américaine. Historien de formation avant d'être journaliste, la plupart de ses textes trouvent leur amorce dans une anecdote pertinente au sujet traité qui souvent peuvent se situer très loin en amont, voire il y a quelques siècles. Ce lien entre des faits historiques et l'actualité donne un sens prégnant à tous les sujets traités.
Voilà un ouvrage d'une rare qualité, écrit par Jean-François Nadeau, qui manifeste encore une fois qu'il a un des esprits les plus intéressants de notre époque au Québec. Formés de diverses chroniques qu'il a écrites au fil des dernières années et qu'il a bonifiées, en plus de textes inédits, Nadeau ratisse large sur les inégalités sociales et fait mouche à chaque fois. En partant du principe du rapport au temps, l'historien de formation débute son ouvrage de manière fort élégante en présentant comment la mesure du temps et sa fragmentation est essentiellement une invention industrielle à l'usage des riches et puissants. Les thèmes abordés dans le livre sont trop vastes pour en faire ici un inventaire, mais tout y est pertinent pour nous rappeler la violence inouïe du capitalisme et la souffrance obscurcie dont on n'entend que trop peu parler. L'érudition de Nadeau ne cesse d'épater: le livre est dense en faits historiques avec lesquels des liens sont faits avec le présent. Toutefois, il ne se contente pas que de vulgariser, exposer, faire des liens et arriver à des conclusions ou poser des questions incisives. Nadeau maîtrise sa plume comme nulle autre et chaque paragraphe est un charme à lire. La beauté de son écriture vient, au moins, adoucir la laideur des mécanismes à l'oeuvre dans notre monde.
Que j'aime Jean-François Nadeau ! C'est toujours un délice de lire ses chroniques dans Le Devoir. Ce recueil de certaines de ses meilleures chroniques m'a énormément plu. Son regard fin sur notre société, son histoire, avec un angle bien campé dans une gauche qui prend soin des gens, de notre filet social et de notre patrimoine commun m'enchante au plus haut point !