La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. Certes, l’objet de l’analyse reste la quête des origines, la compréhension de l’être intime, de ses manquements, de ses troubles et de ses désirs. Seulement il existe ce moment où savoir ne suffit pas à guérir, à calmer, à apaiser. Pour cela, il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. L’aventure démocratique propose elle aussi la confrontation avec la rumination victimaire. La question du bon gouvernement peut s’effacer devant celle-ci : que faire, à quelque niveau que ce soit, institutionnel ou non, pour que cette entité démocratique sache endiguer la pulsion ressentimiste, la seule à pouvoir menacer sa durabilité? Nous voilà, individus et État de droit, devant un même défi : diagnostiquer le ressentiment, sa force sombre, et résister à la tentation d’en faire le moteur des histoires individuelles et collectives.
Cynthia Fleury (civilement Fleury-Perkins), née en 1974 à Paris, est une philosophe et une psychanalyste française. Elle est professeur titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers et professeur associé à l'École nationale supérieure des mines de Paris (Mines-ParisTech), dirige également la chaire de philosophie à l'hôpital Sainte-Anne du GHU Paris psychiatrie et neurosciences et est membre du conseil d'administration de l'ONG Santé Diabète.
Un titre mystérieux à « trois bandes » (l’amer, la mère et la mer) pour un livre riche, dense, instruit, qui engage la réflexion, un livre que j’ai picoré tant la lecture fut minutieuse et lente pour mon cerveau dépourvu de compétences approfondies en philosophie ou psychologie. J’ai peiné au départ, dérouté par les nombreux concepts et références, mais il y avait tant de passages intéressants à lire ou à recopier que je me suis accroché, sans tout comprendre. La première bande, c’est l’amer et dans la première partie de l’ouvrage, Cynthia Fleury explique comment le ressentiment peut toucher un individu (« Ce que vit l’homme du ressentiment »). Face à la densité du propos, elle le fait en chapitres concis et progressifs. Elle ne perd pas son lecteur, mais le met plutôt sur la voie de l’introspection et de la compréhension de lui-même et des autres. Elle montre que le ressentiment peut s’insinuer partout, chez tout le monde et à tout moment. Il nait d’un sentiment de douleur, de peine, d’injustice dans lequel une personne va se replonger constamment et qui va la ronger et la placer dans une position de victime face à des bourreaux. On en veut aux autres parce qu’on n’est pas heureux, on les dénigre et on finit même par les accuser. L’autre est coupable, responsable de nos malheurs. « Le ressentiment est cette astuce psychique consistant à considérer que c’est toujours la faute des autres et jamais la sienne ». Beaucoup moins présent dans un état autoritaire, le ressentiment est une maladie typique de la démocratie où nous sommes censés être tous égaux en droit et donc où la moindre inégalité blesse l’œil, où l’amertume est nourrie par le constat d’un écart entre les droits théoriques reconnus et les inégalités socio-économiques ou culturelles vécues. Nous faisons l’expérience de la frustration, de la perte de protection du système comme enfant, nous avons fait l’expérience de la perte de protection de la mère (voilà la deuxième bande). En plaçant l’égalité comme bien souverain, la démocratie rend paradoxalement insupportables les inégalités, génère un ressentiment collectif qui va miner en retour la démocratie. Or, rappelle Cynthia Fleury, quand une société se laisse envahir par le ressentiment, se laisse gagner par la haine et où seule « la destruction de l’autre est alors susceptible d’apporter une jouissance », cette haine va permettre l’émergence d’idéologies sectaires, le fascisme, le complotisme, le conspirationnisme, le populisme, l’intégrisme religieux, des idéologies toutes différentes, mais toutes construites sur le ressentiment. Alors que faire contre ce ressentiment collectif, contre ces dangers qui menacent le futur de la démocratie ? Pour autant et même s’il y a des conditions objectives au ressentiment collectif (insécurités et inégalités croissantes), c’est d’abord aux aspects subjectifs que s’intéresse Cynthia Fleury. Dès les premières lignes, elle pose la question de la part de responsabilité de l'individu dans le ressentiment. « Il y a ici une décision, un parti pris, un axiome : ce principe intangible, cette idée régulatrice, c’est que l’homme peut, que le sujet peut, que le patient peut. » Il est intéressant de constater que quand les conditions objectives de ressentiment sont présentes, certains individus entrent définitivement dans ce ressentiment alors que d’autres n’y entrent pas ou en sortent. Il n’y a donc pas de déterminisme, l’homme peut y échapper. C’est le principe d’ouverture, d’augmentation, la sublimation de l’amertume, l’épopée de « l’amer se transfigurant en mer » (la troisième bande) qui fait qu’à un moment donné nous n’allons pas vivre le grand large comme un exil ou comme un sentiment douloureux, mais précisément comme quelque chose qui permet de se déployer. Cynthia Fleury nous invite donc à ne pas sombrer dans le ressentiment, tâche difficile, mais pas impossible, comme a été pour moi la lecture de cet essai intéressant et réussi.
En este ensayo Cynthua Fleury conjuga el campo del psicoanálisis, la filosofía analítica y la sociología para descorticar el concepto del "rencor", a nivel individual pero a nivel de sociedad. El libro está estructurado a través de tres partes que entrelazan un argumento de contraposición entre el juego de palabras y las imágenes de "l'amer" (la amargura/rencor), "la mère" (la madre) y "la mer" (la mar). Para superar el rencor, se debe reconocer a nivel individual o colectivo los hilos comunicantes entre la causa del rencor, es decir el desprendimiento de la matriz (la madre) hacia un estado de no-rencor pero si disfrute de la amargura (la mar). A pesar de las interesantes relaciones con la obra de Fanon o Nietzche o el enfoque ya al final hacia ejemplos concretos como el surgimiento de populismos y su relación con los social media, como antonomasia del rencor societal del siglo XXI libro permanece por algunas partes muy abstracto.
J'ai lu la partie 1 et la partie 3. Comme si ce n'était pas le moment de lire encore la partie 2, ce sera sûrement pour cet été.
J'ai rarement autant surligné un livre tant les conceptions me parlaient, touchaient juste. Mais surtout, ce livre a été le plus grand réconfort à ma colère et à ma tristesse, à ma rage de victime. Il est venu mettre des mots là où la société entière entretient un déni béant. Tant de micro-mécanismes révélés, dans une écriture philosophique et poétique qui la rend accessible à la lecture et à la compréhension.
O ressentimento, eis um dos temas que mais me intrigam. O que a psicanalista e filósofa francesa Cynthia Fleury faz é buscar na psicanálise, na literatura e na filosofia algumas pistas para lidar com a questão, central nas sociedades contemporâneas.
O livro é dividido em três longos ensaios que podem ser lidos independentemente. Em francês, eles se chamam: l'amer (o amargo), la mère (a mãe) e la mer (o mar). Meu preferido é o primeiro, em que ela se debruça sobre o pensamento de Max Scheler para tentar compreender as causas do ressentimento. Fleury o entende como uma "manobra psíquica astuciosa que consiste em considerar que se trata sempre da culpa dos outros e nunca da sua" (p. 27). O ressentimento envenena, imobiliza e tem na vingança seu único horizonte. Causa impactos para os indivíduos, as coletividades e até para o estado de direito.
Para lidar com o ressentimento, Fleury se baseia numa impressionante coleção de artistas, psicanalistas e filósofos e, de cada um, extrai uma pista: de Reich a Fanon, de Rilke a Dostoiévski, de Nietzsche a Jankélévich; nada parece faltar na biblioteca de Fleury. A erudição dela é certamente um dos pontos altos do livro.
Parece-me que a perspectiva da autora para curar o ressentimento passa por várias possibilidades: a "vis comica" (ou seja, o humor), o esquecimento, a leitura, as artes em geral, a "expansão do eu" por meio das interações e amizades, e uma consciência profunda da nossa natureza trágica: não há possibilidade de retorno ou de reparação para as feridas do espírito. É preciso aceitar a amargura, aceitar o naufrágio e, a partir daí, recriar o mundo e retomar a vida. Já no coletivo, ela advoga pelo duplo caminho do cuidar e do educar. Apesar de várias pontas soltas e do excesso de referências, adorei este livro e acho que retornarei a ele muitas vezes.
Soit je me suis méprise sur le contenu, soit le sujet n'a pas été entièrement traité. Cynthia Fleury, dans ce livre, parle d'un seul aspect du ressentiment (du moins jusque là où je me suis arrêtée, mais en me référant à la table de matières, je n'ai pas l'impression d'avoir tort.) Elle y parle essentiellement du ressentiment envers le monde ; le ressentiment en tant qu'émotion indue et parasite envers quelque chose que le monde ne nous doit pas forcément. Or, j'aurais aimé qu'elle parle du ressentiment "dû", celui que l'on ressent à l'égard de quelque chose qui nous a fait du mal pour de vrai.
Et le fait de ne traiter qu'un seul aspect du ressentiment entraîne d'autres points qui m'ont gênée, notamment un ton général très incisif, voire culpabilisant. Ca ne m'a pas fait du bien de lire ce livre, j'ai eu l'impression d'être jugée et que mes émotions n'avaient pas lieu d'être.
De surcroît, je n'ai pas du tout accroché au style de Cynthia Fleury, que j'ai trouvé très "prout prout". Des phrases très alambiquées, faussement intellectuelles, où l'autrice se répète trois dans des tournures différentes, pour expliquer des concepts simples. Au bout du compte, c'est l'impression que ça m'a donné, j'ai trouvé ce livre bien prétentieux.
Le message que délivre cet ouvrage est au fond assez simple, et pourrait émaner de votre tonton, ancien sous-officier dans l'armée : "arrête de ruminer et bouge-toi le c... !". Mais la valeur de "ci-gît l'amer" est ailleurs et réside dans la finesse des analyses sur la nature du ressentiment, le poison qu'il représente pour l'âme mais aussi pour la société qu'il peut conduire jusqu'au fascisme. Il montre également comment la société contemporaine, qui réifie l'individu, conduit au ressentiment, et présente de façon stimulante les réflexions d'Axel Honneth sur la reconnaissance. Sur les remèdes, des développements passionnants aussi sur le soin de l'individu et le soin de la société, dans le sillage de Franz Fanon. Et, outre le soin, tous les remèdes au ressentiment: ce que Rilke nomme l'Ouvert, la création, le style, mais aussi la connaissance. Nietzsche est aussi convoqué à différentes étapes. On pourrait reprocher à cet ouvrage son côté "pas tout à fait bien rangé" : les voies de sorties du ressentiment sont abordés dès le début, et l'auteure revient jusqu'à la fin sur la nature et l'identification du ressentiment : le raisonnement pourrait se dérouler de façon plus linéaire. Mais c'est sans doute le signe d'une belle pensée en arborescence.
Ça m'est tombé des mains vers la page 70. Malgré la mention de Max Scheler l'auteure continue de relayer les vues erronées de Nietzsche sur le christianisme dans les pages suivantes. Et au sujet de la lutte contre le ressentiment, le développement des vertus et l'utilisation de la force démiurgique de l'homme je trouve bien mieux chez les Pères de l'Eglise. À plusieurs reprises je me suis d'ailleurs surpris à annoter le bouquin pour démontrer que ce qui est présenté comme de la philosophie au marteau (et est intéressant) est en fait déjà dans l'Ancien Testament et les Évangiles, mais en bien mieux (suffit de prendre la peine de les lire honnêtement). Peut être que ça servira à la personne qui le récupérera dans la boîte à livre ou je vais le déposer.
Beaucoup de perspectives et de concepts intéressants et inédits pour quelqu'un comme moi, qui ne connais pas grand chose à la psychanalyse mais fais quand même partie du grand public cultivé. J'ai trouvé ce livre plutôt accessible dans l'ensemble (même si j'ai dû chercher le sens de "forclos" qui n'est défini qu'une centaine de pages après la première occurrence). J'ai bien aimé la distinction faite entre amertume et ressentiment et ce qui fait basculer (ou non) vers le second. Les répercussions de tout cela sur le comportement politique m'ont aussi intéressée. Un livre qui a nourri et stimulé mes propres réflexions.
Super lecture pendant un long moment et puis ça s'éternise et au bout d'un moment je me surprends à lire en diagonale sans savoir pourquoi j'ai décroché. Je pense que ça aurait pu être plus condensé. Ca m'a fait penser au mythe de sisyphe de camus, et "la fin de la plainte" de Roustang. c'est plutôt les mêmes pistes émises pour sortir de l'emprise du ressentiment. Mais aussitôt lu aussitôt oublié ce que j'ai lu, oops
J'ai pris plaisir à la découverte de la philosophie mêlée à la psychologie, aux différents versants sur le sujet du ressentiment Toutefois, je ne suis pas suffisamment emballée : je vais arrêter à la moitié du livre.
Leer a Fleury cynthia (dir.) fue un desafío similar a mi primer libro de Jung. No por eso me parecieron excelentes bases para buscar nuevas formas de pensar. En el caso de Fleury, el libro te da una idea más profunda de que hace al resentimiento, como se forma y cuales son los mecanismos que impiden la resolución del mismo desde el lado de la persona afectada. Luego extiende el concepto del mismo resentimiento al ámbito social, donde usa como ejemplo la llegada del nazismo (pero puede extenderse a regímenes contemporáneos) para explicar la relación entre el líder del movimiento, la gente que lo sigue y la posible psiquis de dicha población. Como último (teniendo en cuenta que Fleury explica los temas antes vistos repetidas veces por al menos dos tercios del libro), se busca explicar cuáles pueden ser las maneras de contener y contrarrestar los efectos y el mismo resentimiento. En lo personal aprecio y recomiendo el libro porque: - Me ayudó a entender que algunos temas pueden ser explicados no sólo para encontrar una solución, sino para entender que lo causa. - Las muchas referencias a varios autores que usa para sustentar sus explicaciones (entre ellas esta Fanon Frantz y WINNICOTT DONALD) me generaron interés para buscarlos y aprender más de ellos. - Te da una visión más orgánica de cómo las emociones del individuo se pueden extrapolar a una sociedad y ver cómo afectan las relaciones de las personas, y en un plazo más grande, la historia de las mismas.