Amie de Guillaume Apollinaire (qui la publia quand elle avait 13 ans), de Colette, de Natalie Barney et de Jean Cocteau, Mireille Havet (1898-1932) a tenu un extraordinaire et monstrueux Journal, dans lequel elle décrit sa "vie de damnation", une vie de guet et d'attente, de songe et d'outrance, une vie aimantée par son "goût singulier" pour l'amour des femmes et des stupéfiants.
Je ne suis pas amatrice de journal intime, il y a souvent des longueurs, une litanie de noms que je mélange, des digressions et une absence d'arc narratif (mais hé, la vie a-t-elle un arc narratif). Mais j'avais envie de lire le Journal de Mireille Havet parce qu'elle fait partie de cette génération fauchée, au côté de Vachet, Crevel, Rigaut... Elle est morte à 33 ans de la tuberculose, épuisée par les excès des années folles. Sa vie est une trajectoire météorique : elle se fait connaître dans le Paris littéraire à seulement 15 ans, et Apollinaire la prend sous son aile. Elle a 20 ans quand elle écrit son journal personnel, racontant le Paris d'après-guerre, passant en revue les soirées du ghota et chassant la mondaine : une vie de montagnes russes, où l'amour le plus passionnel côtoie des phases de désespoir flamboyant. En creux, on est témoin d'une vision profondément tragique de l'existence, et d'une mélancolie qu'on retrouve chez beaucoup des artistes de l'entre-deux guerres : tout le monde joue la comédie de la vie, dans une grande "guignolade", surjouant la joie de vivre et la légèreté, alors qu'ils sont les survivants d'une jeunesse décimée.
« L’unique travail m’attend, refuge où s’aiguise davantage le désir d’être aimée. La dure marche dans Paris plein de silhouettes harmonieuses ne guérit pas. Chaque rencontre me tourmente, je suis comme une rivière où toute ombre d’oiseau pose une tristesse. Je voudrais fermer les yeux, pour ne plus désirer. Mais alors, se lèvent sous les paupières non seulement les souvenirs de celles que j’ai quittées ou perdues, mais toute l’affolante imagination d’un avenir où se combine la fuite et l’amour. »
C’est étrange et presque obscène de donner une note à un journal intime qui n’avait pas vocation à être publié et a été écrit pour aider son autrice à faire sens de sa vie (comme elle l’écrit en 1922).
Malgré tout, cette descente aux enfers, car c’est est une, est une fascinant objet littéraire : envoûtant et obsédant comme cet opium dont Mireille Havet nous parle, tellement jeune et si désabusée, épuisée de la vie comme si elle avait tout vécu, tout compris et tout rejeté.