« Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter sur ce que j'ai été, ce que j'ai pensé, ce que j'ai voulu. » À lire les injures, les jugements à l'emporte-pièce et les contresens qu'ont commis sur lui presque tous les historiens, le Diable boiteux a été entendu au-delà de ses espérances ! Il faut dire qu'il a lui-même brouillé les pistes à plaisir, qu'il est resté au pouvoir pendant plus d'un demi-siècle, qu’il a servi neuf régimes et prêté treize serments. Il faut ajouter que, né et formé sous le règne de Louis XV, et mort l'année de l'avènement de Victoria, ce corrompu, cet homme qui savait faire marcher les femmes, ce joueur invétéré n'est ni un traître par profession ni même un intrigant de haute volée, comme le voudraient la plupart de ses biographes. On ne peut pas non plus soutenir sérieusement qu'il ait voulu à toute force servir la France, donner chair à des idées, poursuivre un idéal. Doit-on alors saluer l'artiste et se résoudre à n'avoir jamais le fin mot ? Rien de tel. Emmanuel de Waresquiel dresse le portrait d’un des personnages les plus complexes et les plus ambigus de notre histoire un portrait profondément humain, entièrement nouveau, cohérent et intelligible. Il fait revivre une figure d'une intelligence et d'une énergie exceptionnelles qui s'est montrée à la hauteur des secousses terribles auxquelles l'Europe a été soumise il y a deux siècles ; un grand seigneur de l'ancien temps fidèle à ses origines, qui a créé le rôle de l'homme de pouvoir moderne.
J'ai cherché ce livre pendant très longtemps, presque quatre ans. Je pensais qu'il était épuisé lorsqu'une petite librairie indépendante à Paris (librairie Epsilon, 33 rue de Vaugirard, 75006 Paris) a en fait recherché d'autres librairies et m'a finalement dit où elle avait réservé le livre pour moi. Donc, je dis tout cela pour faire valoir deux points : (a) s'il vous plaît, soutenez les petites librairies indépendantes et (b) n'abandonnez jamais, car quelque part, vous trouverez ce que vous cherchez.
L'attente en valait la peine. Je suis un admirateur de Monsieur de Talleyrand-Périgord, Prince de Bénévant, Duc de Dino. La plupart des historiens ont écarté les formidables réalisations de ce grand homme d'État. Pourtant, ceux qui connaissent l'histoire mouvementée de l'Europe de la fin du XVIIIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle conviendront que si la Première et la Seconde Guerre mondiale ont été évitées dans ces périodes troublées, c'est grâce à Monsieur de Talleyrand-Périgord. De plus, l'histoire nous apprend qu'après la disparition de son influence dans les affaires étrangères européennes, après sa mort, le chaos s'est installé en Europe pendant 100 ans.
Je ne livrerai pas le contenu du livre ici. Cependant, je vais vous inviter à découvrir ce personnage. Quelques citations du Prince lui-même :
1. La notion du temps dans la politique : " L'état n'est grand que s'il admet l'intrusion de temps dans l'histoire. "
2. Sur la réforme : " [...] ne pas aller contre l'institution lorsque celle-ci occupe une position dominante, mais la réformer de l'intérieur, par petites touches ; savoir faire des concessions pour sauver l'essentiel, apprendre à composer. "
3. Liberté de la presse et de la parole : " La liberté d'écrire ne peut différer de celle de parler ; ell aura donc la même étendue et les mêmes limites ; elle sera donc assurée, hors les cas où la religion, les moeurs et les droits d'autrui seraient blessés ; surtout elle sera entière dans la discussion des affaires publiques, car les affaires publiques sont les affaires de chacun. "
4. Les trois missions de l'éducation nationale : " l'imagination, la mémoire et la raison. "
5. Conseil aux diplomates : " Sachez vous faire aimer, estimer, respecter. Ne heurtez pas les moeurs, les usages, les préjugés des pays où vous êtes. "
6. La séparation de l'église et de l'état : " La religion, quelle qu'elle soit, ne doit jamais être une puissance élevée contre les principes de la liberté. En conséquence, le gouvernement de la République n'a pas à se réclamer officiellement d'une obédience quelconque. "
7. Le savoir : " Voyez-vous, messieurs, il y a trois savoir : le savoir proprement dit ; le savoir-faire et le savoir-vivre : les deux derniers dispensent bien souvent du premier. "
Superbe intelligence sage qui est en avance sur son temps, si ce n'est sur le notre . . .
Un grand bravo à l'auteur Emmanuel de Waresquiel, qui réussit à traduire la pensée et l'esprit de ce grand personnage en replaçant tous ses faits et dires dans le contexte des temps troubles de cette période.
The definitive Talleyrand biography, sadly not translated into English. de Waresquiel has done his labors in the archives, and has turned up a significant amount of new material. . . given that most Talleyrand bios rehash a few bon mots and clever stories, de Waresquiel really deserves to be commended.
He's terrific on things like banking records, where he's been able to find details on T's relationship with Barings, for example.
For folks who can read French, this is the one to read. . .
Emmanuel de Waresquiel nous raconte la vie de Talleyrand d'un point de vue d'historien. Par exemple il évoque d'autres biographies de Talleyrand, en faisant la louange ou la critique, parfois il présente aussi plusieurs versions d'un évènement et donne les arguments soutenant la thèse la plus probable (notamment sur la claudication de Talleyrand, est-elle due à une malformation ou à un accident ?). Tous ce que de Waresquiel affirme est soutenu par des extraits d'archives qui sont référencés à la fin du livre (il y a une astérisque après l'affirmation qui renvoie à la fin du livre aux références d'une archive avec parfois une citation de l'archive en question qui justifie l'affirmation, cela n'intéresse que les chercheurs). J'ai lu cette biographie de Talleyrand et j'en ai entamée une autre de Michel de Decker, je n'ai donc pas un avis objectif sur la qualité de la biographie néanmoins je trouve que ce livre était très intéressant car il ne se contente pas de citer quelques phrases liées à Talleyrand "vous êtes de la merde dans un bas de soie" en parlant de toute sa vie sexuelle, comme l'a fait Michel de Decker par exemple. Au contraire ce livre s'intéresse à la vie de Talleyrand, il raconte par exemple les différentes négociations menées par Talleyrand, les décisions qu'il prit et ne se contente pas d'anecdotes. C'est cette partie qui m'a le plus intéressée, le début de sa vie m'a beaucoup moins plu et j'ai eu du mal à accrocher. Ce n'est de toute manière pas le genre de livre que l'on ne peut plus lâché ou "détente". Il y a beaucoup de personnages et d'histoires, il faut suivre même si l'auteur fait parfois des rappels. Ce qui est intéressant aussi c'est qu'on a ici un portrait de Talleyrand plus complexe que celui d'un cynique changeant sans cesse d'opinion pour rester au pouvoir, par exemple l'auteur souligne le fait que bien que servant sous différends régimes, Talleyrand a toujours essayé de promouvoir ses idées qui restent relativement constantes.
Ceci est ma première critique, désolée si la qualité n'est pas au rendez-vous, vos remarques sont les bienvenues.
Cette biographie est à mon sens LA somme sur son sujet. A tel point que je m'étonne que l'édition suivante comporte une cinquantaine de pages supplémentaires. D'une densité et d'une précision qui pourraient susciter l'effoi en dépit d'un découpage en relativement courts chapitres et qui n'en facilitent pas la lecture, l'oeuvre d'Emmanuel de Waresquiel n'est pas de ces biographies de synthèse, réalisées à partir des travaux précédents, mais un véritable travail scientifique, s'appuyant sur les sources et sur une connaissance exhaustive des recherches antérieures. Non sans ironie, il a reçu le prix Chateaubriand. Un comble quand on sait la haine vouée par l'auteur des Mémoires d'outre-tombe à Talleyrand ! Justice est rendue à un homme qui a davantage travaillé pour la France qu'il ne l'a trahie. Car en fait de trahison, ce sont la monarchie absolue, l'Eglise et Napoléon Bonaparte qui en furent les victimes, mais toujours dans l'esprit de Talleyrand pour le bien du pays. Le progrès des libertés et de la démocratie en France doit beaucoup à cet homme qui dans son style de vie fut d'Ancien Régime jusqu'au bout des doigts mais dont l'esprit a toujours été tourné vers l'avenir.
Une sacrée biographie ! Très dense mais très bien écrite, elle est agréable à lire mais pas forcément facile d'accès. La période traitée est du point de vue politique, disons, compliquée, dans tous les sens du terme, et de meilleures connaissances que les miennes auraient été appréciables. Le personnage, quoi que pas toujours sympathique (mais loin de n'être qu'antipathique), est fascinant. Une très bonne biographie, mais que je ne recommanderai sans doute pas pour un premier essai, à moins d'avoir déjà des connaissances sur la période (ce que je n'avais que très, très, très peu, finalement, donc on peut quand même s'en sortir).
Fascinant et brillant, incarnation d’une intelligence rare et d’un sens politique remarquable. Capable de naviguer et de s’adapter pour faire plus que survivre aux changements incessants et souvent violents de cette période. Il y a du Méphisto chez ce fiable d’homme et même si je suis définitivement plus Chateaubriand et le monde perdu que Talleyrand et le monde nouveau, j’ai apprécié ce voyage au long cours sur le fleuve d’une histoire européenne aux multiples rapides. Le catalogue iconographique attaché à la biographie est aussi très bien trouvé Par ailleurs, si pas encore fait, une visite à Valençay s’impose 😊 Ah les biographies des grands hommes, c’est tout de même plus drôle que la sociologie des mangeurs de racines du bas Cotentin 🙃🤣
Personnage fascinant , époque d'une richesse incomparable : le seul reproche au livre serait de ne pas donner assez de contexte, mais il fait déjà plus de 800 pages hors notes !
Ses vies personnelle et politique sont très bien traitees. Très bien écrit, avec humour et élégance
Très intéressant, riche et extrêmement bien documenté. On a l'impression de lire une biographie assez factuelle et précise, très difficile vu le sujet : un des hommes les plus clivants de sa génération, a été détesté par beaucoup et attaqué par tous dans leurs biographies, il a lui-même fait détruire autant que possible tous ses écrits et correspondances...
Mais Waresquiel arrive bien à restituer ses paradoxes et ses contrastes : un homme qui a gardé un style, une attitude et des mœurs d'Ancien Régime (attitude de grand seigneur, vie sociale extrêmement riche, fréquentation de salons et jeux de cartes, jusqu'à ses nombreuses maîtresses successives et toutes ses amies proches auxquelles il reste fidèle), qui le distingue parmi tous les régimes qu'il traverse, participe à mettre en place et destituer. Révolution (participe à la rédaction de la constitution), Directoire (très actif avec Bonaparte dans les coups d'état de Fructidor qui éloigne les opposants extrémistes révolutionnaires puis celui du 18 Brumaire), Empire (l'un des ministres les plus appréciés avant sa disgrâce, puis traite avec les Alliés, notamment Autriche / Russie, très tôt et participe à la chute de l'Empire), Restauration (sur base d'une première constitution qu'il écrit), Monarchie de Juillet (il pousse Louis-Philippe à l'action pendant les 3 glorieuses)...
Malgré les apparences, quelques idées le poussent tout au long de sa carrière : - pour la France, une monarchie constitutionnelle - en Europe, une paix générale basée sur un équilibre des puissances, en particulier via une relation pacifiée voire une alliance avec l'Angleterre
Ministre brillant, esprit très fin, s'appuyant sur un réseau de renseignement très fourni et un cercle social influent, s'est rendu indispensable pour tous les dirigeants successifs, malgré parfois leur antipathie. En parallèle, la recherche permanente de l'enrichissement par tous les moyens, sans aucun scrupule sur les conflits d'intérêts et affaires douteuses ; les mœurs décriées d'un homme qui a de nombreuses maîtresses sans s'en formaliser, et surtout l'image d'un ex-évêque parjure et marié.
« Je n’ai conspiré dans ma vie qu’aux époques où j’avais la majorité de la France pour complice et où je cherchais avec elle le salut de la patrie. »
Réussit à faire toujours avancer ses idées (pour la France et l'Europe) et ses intérêts dans toutes les négociations, malgré des ordres parfois contraires ! Parmi ses techniques : une certaine indépendance (n'hésite pas à improviser, ne pas appliquer ou pas complètement les ordres reçus, donner d'autres informations à ses contacts), maîtrise du timing (en délayant/ ralentissant certaines actions pour permettre de les reconsidérer), discussions informelles avec ses interlocuteurs (ou via un réseau parallèle) pour faire passer des infos supplémentaires/ placer ses pions pour des futures actions, replacer ses propositions derrière des "principes" généraux (parfois inventés pour l'occasion... légitimité des souverains, non-intervention, etc.) Le tout en conservant une vision d'ensemble extrêmement précise et pertinente de l'Europe, qui permet d'inscrire son action dans l'intérêt général.
Si je le pouvais, j’attribuerais six étoiles à cet ouvrage. Waresquiel signe un livre aussi élégant et subtil que son sujet, peignant avec brio les ambiguïtés et les complexités de celui qui fut sans doute l’esprit le plus influent et le plus habile de la France au XIXe siècle. Ce n’était pas une figure aisée à cerner, comme pourrait le laisser croire la célèbre phrase de Chateaubriand, lorsqu’il entra soutenu par Fouché : "...le vice appuyé sur le bras du crime". Corrompu pour les uns, diplomate visionnaire d’une France moderne comme nul autre avant lui, Talleyrand était tout cela à la fois. Comme on le dit souvent, c’est l’homme qui servit neuf régimes et prêta treize serments, illustrant ainsi la manière dont il traversa l’histoire de France, toujours indispensable, qu’il s’agisse de la Révolution, de Napoléon, de Louis XVIII ou de Louis-Philippe. Il est stupéfiant de constater que tous ces gouvernements, sans exception, ne purent se passer de ses services. D’une manière ou d’une autre, il obtenait toujours ce qu’il voulait, allant jusqu’à défier le Vatican dans ses derniers instants. Alors qu’il était mourant, un facétieux journaliste écrivit ce jour-là dans Le Charivari : "M. de Talleyrand était ce matin au plus mal, écrit le rédacteur du Charivari, et chacun se demandait si le vieux roué nous ménageait quelque mystification. On sait en effet qu’il ne fait jamais rien sans motif, et nul ne pouvait comprendre quel intérêt il avait à être à l’agonie."
Plus qu une biographie, une rehabilitation ou du moins une demonstration reussie de la continuité politique de ce diplomate tortueux, corrompu mais brillant qui exaspera Napoleon.