«Je suis arrivée dans ce jeu de quilles comme un boulet de canon, tête la première, pas de corps aligné, des neurones survoltés, une euphorie sensorielle sans limites.»
«Algorithme éponyme »est l'oeuvre déroutante et inclassable d'Hélène Nicolas «alias» Babouillec, une jeune femme autiste, diagnostiquée "déficitaire à 80 %". Jamais scolarisée, elle n'a, selon ses propres mots, "pas appris à lire, à écrire, à parler". Elle réussit pourtant, après vingt ans de silence, à écrire à l'aide de lettres en carton disposées sur une feuille blanche, des textes d'une grande force poétique, révélant d'incroyables dons d'écriture.
Des textes formidables. Déceler les sens de ses proses est un exercice de selfcare et de minutie. J’aime l’attention aux détails dans chaque ligne et les voyages d'une langue à l'autre.
Emily Dickinson disait "Les mots les plus larges sont si étroits qu'on peut aisément les franchir - mais il y a une eau, plus profonde qu'eux, et qui n'a pas de pont." La poésie est l'art de mettre des mots sur ce qui niche au fond de l'eau, sur des impressions qui se trouvent entre les termes génériques de tristesse, d'amour, de bien-être. Le poète nous parle de ressentis éphémères, à peine éprouvés qu'ils se dérobent déjà, il distille un sens curieux dans les phénomènes ordinaires, il nous pousse à examiner minutieusement la plus petite particule de vie, la rend conséquente. La poésie aiguise l'âme, elle nous rend plus fins dans notre appréciation du monde. En cela Babouillec est parfois poète. Elle verbalise par exemple cette sensation qu'on a certains jours où les contacts avec le monde extérieurs sont difficiles, que le silence lui-même loge à l'intérieur de nos corps. Et parfois, elle se révèle être plus. Ce qu'elle écrit est plus viscéral encore que de la poésie. Comme une sorte de messie aux phrases déstructurées et aux mots décharnés, elle nous fait prendre conscience de mécanismes mentaux et communicationnels dont nous ne soupçonnions même pas l'existence. Sans vraiment qu'on s'en rende compte, on plonge dans les eaux les plus profondes, les choses les plus inexprimables, et on est submergés par le langage atypique de l'écrivaine.
De très beaux passages, entre réflexion personnelle et poésie. Un livre qui donne accès, le temps de sa lecture, au mode de pensée d’une personne atteinte d’autisme. Soulève des questions existentielles.