Charlie Roquin

“Il ne voulait pas perdre une miette d’un sujet qui ne l’intéressait pas en soi mais le captivait, traité par cet homme là. Avec lui, l’opéra prenait vie. C’était comme la physique expliquée par Einstein, la guerre par Sun Tzu : sans rien connaître, on comprenait tout. Les habitués, désormais obligés, pour être servis, de venir au comptoir et d’écouter Moshe, s’en entichèrent aussi. Ils s’attroupaient autour de lui, curieux d’apprendre comment s’était déroulée la soirée, s’il y avait eu des ratés, des exploits qui entreraient dans l’Histoire. Ils l’interrogeaient. Était-ce bien dans La Walkyrie que mourait Siegmund ? Cette mort, y avait-on cru ? Et de la Chevauchée, qu’avait-il pensé… ? Certains connaissaient l’œuvre de Wagner mieux qu’ils ne l’avaient laissé croire. D’autres affirmaient ne rien entendre à sa musique mais en effet, maintenant que Moshe en parlait, une Chevauchée jouée adagio, c’était discutable… ! On discutait, donc. On buvait aussi. Les habitués appréciaient cet hôte raffiné mais non maniéré, éloquent sans crânerie. Sous l’influence de M. Schopenhauer, ils avaient longtemps vécu dans la haine du festival et des festivaliers. Moshe les avait réconciliés.”
― Charlie Roquin, Les Maîtres de Bayreuth (Les Passe-Murailles)