Camille Froidevaux-Metterie
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“Que ce soit la phénoménologie expérientelle en première personne ou l'approche féministe du point de vue, dans les deux cas, il s'agit de conférer de la valeur à ce qui est traditionnellement dévalorisé : le récit de soi jusque dans ses aspects les plus intimes, les plus émotionnels, les plus incarnés. C'est en tant que sujets concrets de sexe féminin que les femmes ont entrepris de déconstruire l'ordonnancement patriarcal de la société occidentale, des sujets qui, tout en partageant une semblable condition d'aliénation, n'en vivent pas moins une immense variété de situations qu'il est vain d'ignorer. Non seulement cette pluralité des modalités vécues de la domination masculine n'est pas contradictoire avec la démarche subjective, mais elle la rend nécessaire tant il paraît impossible de restituer une situation où s'entremêlent divers facteurs d'oppression sans donner la parole aux personnes singulières qui l'éprouvent et qui sont les seules à pouvoir à la fois l'exprimer et la penser.
Toutes les femmes ne vivent pas les expériences incarnées selon les mêmes modalités, ni dans les mêmes registres, ni avec la même intensité. L'attention à la pluralité de ces situations est un des postulats du féminisme phénoménologique, elle se traduit par la valeur centrale accordée au féminin singulier et par le refus épistémologique de toute généralisation. Cette approche tend à produire une analyse circulaire qui part de l'observation de l'irréductible variabilité des phénomènes pour en dégager des logiques communes, voire invariantes, mais en s'attachant à montrer qu'elles s'actualisent toujours dans une grande diversité d'expressions. (p. 141)”
― Un corps à soi
Toutes les femmes ne vivent pas les expériences incarnées selon les mêmes modalités, ni dans les mêmes registres, ni avec la même intensité. L'attention à la pluralité de ces situations est un des postulats du féminisme phénoménologique, elle se traduit par la valeur centrale accordée au féminin singulier et par le refus épistémologique de toute généralisation. Cette approche tend à produire une analyse circulaire qui part de l'observation de l'irréductible variabilité des phénomènes pour en dégager des logiques communes, voire invariantes, mais en s'attachant à montrer qu'elles s'actualisent toujours dans une grande diversité d'expressions. (p. 141)”
― Un corps à soi
“Dans le monde du travail, et pour longtemps encore, tout se passe donc comme si les femmes n’avaient pas de corps (pas de règles, pas de grossesses, pas d’allaitement). C’est ce qu’exprime la doctrine féministe libérale en forme d’affirmation auto-réalisatrice, « quand on veut, on peut », qu’incarnent les role-models. Ces femmes qui réussissent à briser le plafond de verre et à faire leurs preuves dans des fonctions valorisées ne voient pas que leurs succès reposent sur le recours systématique et intense à d’autres femmes qui prennent soin pour elles de leurs enfants et de leurs maisons ; leur réussite seule tient lieu de projet féministe dans le contexte individualiste qui caractérise le tournant néolibéral des démocraties occidentales dans les années 1980. (p. 63)”
― Un corps à soi
― Un corps à soi
“Il faut […] faire la distinction entre ce qui relève de la féminité et ce qui relève du féminin au sens phénoménologique du terme. Dans le premier cas, nous sommes dans le registre des représentations. La féminité renvoie à un ensemble de dispositions considérées comme indissolublement attachées à la condition féminine définie par une triple injonction : disponibilité sexuelle, dévouement maternel et subordination sociale. Le mot de féminité condense en somme le projet patriarcal tel qu’il est imposé aux femmes depuis les origines, à savoir un pseudo-destin corporel placé sous le signe de l’infériorité et de l’asservissement. Il s’articule à la virilité comme à un vis-à-vis nécessaire, celui d’une triple injonction miroir faite aux hommes : conquête sexuelle, accomplissement individuel et domination sociale. Féminité et virilité s’enracinent dans le terreau immémorial de la hiérarchisation sexuée des rôles, portée et perpétuée par des mécanismes dont l’efficacité doit beaucoup à leur invisibilité. L’une et l’autre renvoient aux fondement patriarcaux de notre monde commun, ceux que la révolution féministe a commencé d’ébranler et que nous nous efforçons de détruire tout à fait.
C’est au regard de cette dynamique de renversement qu’il convient de poser cet axiome : le féminin n’est pas la féminité. Il n’est pas assimilable au corps tel que présentant des caractéristiques sexuées féminines (seins, vulve, clitoris, vagin) et éprouvant les mécanismes physiologiques qui y sont associés (ovulation, règles, gestation, allaitement). Il n’est pas réductible non plus aux processus de socialisation genrés qui enferment les femmes dans des fonctions et des dispositions impératives. Ni condition culturelle ni réalité naturelle, le féminin conjugue en quelque sorte ces deux aspects sans s’y réduire. Je propose de le définir comme un rapport à soi, aux autres et au monde qui passe *nécessairement* par le corps et qui se trouve de ce fait *déterminé* par lui. Les femmes sont des individus phénoménologiques par excellence, c’est-à-dire des individus pour lesquels toute relation et toute signification sont toujours simultanément et indissolublement subjectives et corporelles. Précisément parce qu’elles n’ont longtemps été *que* des corps, tout entières assimilées à leurs fonctions sexuelle et maternelle, les femmes ne peuvent faire comme si elles n’avaient pas de corps, et plus encore, comme si elles n’avaient pas de corps *sexué*. (p. 25-26)”
― Un corps à soi
C’est au regard de cette dynamique de renversement qu’il convient de poser cet axiome : le féminin n’est pas la féminité. Il n’est pas assimilable au corps tel que présentant des caractéristiques sexuées féminines (seins, vulve, clitoris, vagin) et éprouvant les mécanismes physiologiques qui y sont associés (ovulation, règles, gestation, allaitement). Il n’est pas réductible non plus aux processus de socialisation genrés qui enferment les femmes dans des fonctions et des dispositions impératives. Ni condition culturelle ni réalité naturelle, le féminin conjugue en quelque sorte ces deux aspects sans s’y réduire. Je propose de le définir comme un rapport à soi, aux autres et au monde qui passe *nécessairement* par le corps et qui se trouve de ce fait *déterminé* par lui. Les femmes sont des individus phénoménologiques par excellence, c’est-à-dire des individus pour lesquels toute relation et toute signification sont toujours simultanément et indissolublement subjectives et corporelles. Précisément parce qu’elles n’ont longtemps été *que* des corps, tout entières assimilées à leurs fonctions sexuelle et maternelle, les femmes ne peuvent faire comme si elles n’avaient pas de corps, et plus encore, comme si elles n’avaient pas de corps *sexué*. (p. 25-26)”
― Un corps à soi
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