Bayrou, l’adaptateur

Les Français rêvaient de cohabitation, ils l’ont ! Certes, François Bayrou vient du bloc central, il l’a même imaginé avant Emmanuel Macron, mais pouvait-on trouver homme plus convaincu de ne rien devoir au président ? Les Français ­voulaient aussi qu’Emmanuel Macron souffrît un peu. Ils fantasmaient de le voir redescendre de l’Olympe, de lui faire payer le péché d’orgueil de la dissolution. C’est fait. Le voilà contraint de composer avec une Assemblée nationale qui l’entrave et un ­Premier ministre qui le fait chanter. 

La façon dont Bayrou lui a tordu le bras pour s’imposer, en menaçant de retirer le soutien de ses 36 députés, en dit long sur l’empêchement présidentiel. À l’inverse, sûr de son destin, le nouveau Premier ministre correspond très exactement au moment que nous traversons. Dans une ère de très grande polarisation, Bayrou ambitionne la « réconciliation », comme son modèle historique et son cheval blanc (plutôt gris, d’après les historiens). Henri IV, dont Bayrou nous dit qu’il a forgé sa légende car il « était tout seul », ne paraissait « avoir aucune chance », et qu’il est miraculeusement parvenu à calmer les guerres de Religion, malgré le massacre de la Saint-Barthélemy… par des « gestes de réconciliation »

Vue de si haut, la tâche de François Bayrou paraît moins ardue : réussir à voter un budget ! Cela suppose tout de même de neutraliser les extrêmes, de réconcilier le PS avec la responsabilité, et les Français avec eux-mêmes. Ce ne sont pas les moindres des obstacles. Même pour un cheval blanc. Après la chute de Michel Barnier, il faut une sacrée dose d’ego, avoir confiance dans sa monture, pour penser pouvoir trouver un chemin parmi les ronces et les ­broussailles, les piques et les guillotines. 

François Bayrou n’en manque pas. Ses quarante-quatre années de vie politique semblent n’avoir existé que pour ce rendez-vous. Lui qui, au nom de la démocratie et du pluralisme, a parrainé le droit de Marine Le Pen à se présenter à la présidentielle, tout en essayant de déporter la droite vers la gauche. Lui qui, en dehors de phrases sentencieuses, d’une gifle, et d’avoir tenu tête à Nicolas Sarkozy, n’a guère frappé les esprits. Lui à qui l’on connaît trois obsessions : l’Europe, la proportionnelle et la dette. 

Trois dossiers devenus brûlants. Bayrou, c’est un adaptateur. L’outil que vous cherchez quand les prises ont changé et qu’il faut du courant. Entre son expérience, sa connaissance des partis, et sa certitude d’être l’homme de la situation, il l’est peut-être. Ça passe ou ça casse. Coqueluche ou baudruche ? L’histoire nous le dira. Mais une chose est certaine : il faut lui souhaiter de réussir. Car si la France ne parvient pas très vite à se doter d’un budget et continue à dégrader sa note à force de jouer à l’enfant capricieux, ce sont tous les Français qui vont perdre à ce jeu de massacre. Ne craignez pas la Saint-Barthélemy. Mais peut-être la Saint-Bardella. 

Caroline Fourest, Franc-Tireur, 18/12/24

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Published on December 18, 2024 05:55
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