Trop, c'est trop !

Je suis écrivain. Écrivaine. Auteur(e).
(Je me fous des -e parce que je me fous des genres.)
Aussi étonnant que cela puisse paraître à certains, cette activité consiste à écrire des livres.

Parfois, le job se complique. 
Il arrive que les livres aient besoin d'être défendus par leur auteur.
D'abord auprès d'un éditeur, lorsque celui-ci n'en veut pas, ensuite auprès des représentants de l'éditeur qui vont "vendre" le livre aux libraires. Tout cela, le public l'ignore, c'est la petite cuisine interne. Ensuite, le livre peut être défendu après sa sortie : sur des salons, dans des rencontres publiques en librairie ou en médiathèque. Cette fois, c'est le public (quand il y en a...) qu'il faut convaincre. De quoi ? Bah... Justement, l'auteur ne sait pas très bien. D'acheter son livre ? De le lire ? De l'aimer ? De ne pas le revendre sur eBay ? On ne sait pas trop, car le job, ici, pour n'importe quel auteur, même très moyennement parano, est plutôt vécu comme un pur exercice d'autodéfense...
Ce n'est pas toujours agréable. Ça prend du temps. 
Mais tout cela, pour moi, fait partie du cycle du livre. Un cycle relativement sain, dans la mesure où l'on se met quelquefois en danger, certes, mais qu'on est souvent protégé. On est entre soi, entre acteurs du livre. Bref. C'est l'histoire de la vie, le cycle éternel, comme on dit dans Le Roi Lion.

Et puis il y a un autre job.
Avec les années, il est devenu tellement important dans l'édition jeunesse, que les auteurs pourraient passer leur temps à ne plus faire que ça... D'ailleurs, c'est ce que certains font. Ils n'écrivent plus, ils vont parler de leurs livres. Certains le font par choix car ils sont doués pour ça, ou ils ont fait des formations d'animateurs en ateliers d'écriture, dautres par nécessité, parce que leurs livrent ne se publient plus et qu'il faut bien vivre, ma bonne dame. Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus, comme on dit dans La Marseillaise.
Ce job secondaire, et pour certains principal, c'est animateur de rencontres.
Et c'est un vrai travail. A part entière.

Le public est essentiellement scolaire mais il peut être municipal,  ou réuni par différentes instances culturelles qui vont du club de lecture à l'atelier théâtre, de l'association de quartier avec activité lecture+ pâte-à-modeler à la prestigieuse structure du genre Lyon's club ou Rotary.
M'enfin, soyons clair : le plus gros employeur, c'est l'Education Nationale. Pourquoi, me direz-vous ? Vu qu'elle n'a plus de sous pour embaucher des profs ? Mais elle en a(vait) quand même pour payer des auteurs, faut croire... (jusqu'à un certain point)
Moi qui suis à la fois prof et auteur, vous commencez à percevoir peut-être dans quel abime de perplexité ce genre de rencontres me plonge ? Je m'en suis déjà ouverte il y a quelques années, sur ce même blog : une interrogation à voix haute assez naïve qui m'a été maintes fois reprochée ! A tel point qu'il devient rare que je sois invitée quelque part sans qu'on me parle de " ce que j'ai dit sur mon blog à propos des rencontres scolaires ". Il faut croire que j'ai vexé tout le monde...
Les naïfs à grande gueule dans mon genre vexent souvent.

A l'époque, mon souci principal était d'ordre éthique : comment se défausser d'une journée de son travail salarié devant des élèves, pour aller rencontrer d'autres élèves ? Etait-ce moral ? Etait-ce justifié ? De surcroît, la perspective (quand on vit seule avec un enfant, ce qui est mon cas) de laisser son enfant chez des amis, puis de faire huit heures de train pour aller rencontrer d'autres bambins, peut parfois ternir le plus bel enthousiasme. Quand on se retrouve seule dans un hôtel à dix heures du soir et qu'on a son môme au bout du fil qui vous dit "Pourquoi t'es pas là maman?", on se sent bête. Et triste.
Bon, on ne va pas se plaindre. C'est pas Germinal, merci on sait. D'ailleurs, une bibliothécaire du Mans qui tenait un blog a laissé ce commentaire sur le mien, en réponse : "Quand on est payé 200 euros pour une demi-journée de rencontres, on devrait s'estimer heureux d'être invité".

 Bref, prend l'oseille et tire-toi, comme on dit chez Woody Allen.

Moi qui suis une ridicule idéaliste, tant de pragmatisme m'avait d'abord profondément blessée, puis j'ai appris (comme tous les idéalistes) à mettre ma morale dans ma poche et mon mouchoir par-dessus, et à empocher l'argent, quand il y en avait. En 10 ans, j'ai fait de très nombreuses rencontres scolaires, et malgré deux ou trois épouvantables expériences, que je raconterai peut-être, je garde un souvenir agréable de la plupart (et un souvenir merveilleux d'une ou deux).
J'ai surtout croisé des collègues (profs et docs) formidables, dont la somme de travail et d'énergie mise en oeuvre pour préparer des projets était tout bonnement phénoménale, chose dont j'étais d'autant plus consciente que j'enseigne aussi. Ils avaient la foi de transmettre, chevillée au corps.
C'était beau à voir ! Je me suis sentie souvent flattée d'être si bien accueilie, par des personnes aussi dignes d'admiration (et je pèse mes mots).

Mais jamais, jamais, je ne me suis dit : "C'est ça, mon travail."
Ni même : "Ça fait partie de mon job". 

J'ai toujours eu le c.. entre deux chaises, ou pire, entre trois : ma moitié-prof était confortablement assise (car parler à des ados, les faire rire, les cadrer aussi quand ça déborde, les intéresser : je sais faire). Mais ma moitié-auteur était à la torture, de devoir répondre à des questions telles que "Pourquoi écrivez-vous ?", "Comment vous est venue l'idée de ce livre ?" ou "Quelle est la morale du livre ?". Autant de questions qui peuvent paraître pertinentes du point de vue d'un lecteur, mais qui le sont rarement pour un auteur. Je n'ai jamais refusé de répondre, pourtant. Quand j'étais découragée, je me souvenais de cette bibliothécaire du Mans. Je me disais : "Pour 200 euros, tu peux bien faire un effort".
Avale, me disais-je…, comme chantait Baschung dans Samuel Hall.

Et puis, là, récemment, je me suis dit : "C'est marre".
Pourquoi ? Parce que j'ai enchaîné pas mal de rencontres scolaires, et – je vais être tout à fait honnête, je l'ai fait pour des raisons financières. J'avais besoin de thunes, comme dirait, euh.. Booba. Je ne me drogue pas, je ne joue pas au casino, non, j'avais juste besoin de thunes, quoi. Ça arrive. Eh bien, comble de l'ironie : me voilà bien attrapée, car je n'ai pas été payée !
Pourquoi ? Bah, parce que l'Education Nationale n'a plus de sous (finalement). Du coup, elle joue les fourmis. Elle resserre les cordons de la bourse, elle fait la finaude : ses porte-flingues m'appellent régulièrement :
– Oui on a bien reçu votre contrat, votre devis, votre facture, mais il nous manque votre numéro d'AGESSA.
– Je n'en ai pas, je ne suis pas affiliée, je cotise pour ma retraite à l'EN.
– Votre numéro de SIRET, alors.
– Je ne suis pas auto-entrepreneur, je n'en ai pas.
– Dans ce cas il m'est impossible de vous payer.
Je remplis des formulaires, des dossiers, j'envoie des contrats. Et j'attends, des mois, parfois.
Et pendant ce temps, je n'écris pas.

Parce que, lorsqu'on travaille à mi-temps, qu'on organise des voyages scolaires, qu'on élève seule un enfant, qu'on fait des rencontres littéraires, eh bien il faut faire des choix et on n'a pas le temps pour tout. Mais comme me l'a dit un jour un libraire : "Tu sais, nos tables sont déjà pleines de livres, il ne faut pas trop écrire, et surtout il ne faut pas faire le livre de trop."
J'espère au moins éviter cet écueil ?
Mais bon... Le pire est toujours certain, comme dit la loi de Murphy.

Alors, que faire ?
Eh bien, peut-être faut-il réserver l'animation aux professionnels, après tout.
Il y a des auteurs-animateurs qui sont rompus à l'exercice et qui connaissent les subtilités de l'administration : eux méritent sans doute d'être payés, pas seulement parce qu'ils ont des numéros de SIREN, de SIRET et d'AGESSA, mais parce qu'ils ont du temps et de l'énergie à consacrer à cela.
Moi, je n'en ai plus.
Je voudrais vivre heureuse, et écrire.
Et c'est tout.
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Published on June 21, 2016 02:59
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Anne Percin
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