 
   
      “L’extinction du désir ou le détachement — amor fati — ou le désir du bien absolu, c’est toujours la même chose : vider le désir, la finalité de tout contenu, désirer à vide, désirer sans souhait. Détacher notre désir de tous les biens et attendre. L’expérience prouve que cette attente est comblée. On touche alors le bien absolu. En tout, par-delà l’objet particulier quel qu’il soit, vouloir à vide, vouloir le vide. Car c’est un vide pour nous que ce bien que nous ne pouvons ni nous représenter ni définir. Mais ce vide est plus plein que tous les pleins. […] La réalité du monde est faite par nous de notre attachement. C’est la réalité du moi transportée par nous dans les choses. Ce n’est nullement la réalité extérieure. Celle-ci n’est perceptible que par le détachement total. Ne restât-il qu’un fil, il y a encore attachement. Le malheur qui contraint à porter l’attachement sur des objets misérables met à nu le caractère misérable de l’attachement. Par là, la nécessité du détachement devient plus claire. […] Toute douleur qui ne détache pas est de la douleur perdue. Rien de plus affreux, froid désert, âme recroquevillée. Ovide. Esclave de Plaute.”
    
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      “Beaucoup d’amitiés (et d’amours) se terminent là, ne survivent pas au passage d’une phase à l’autre, et finissent au mieux par ressembler à ‘’ce pacte d’invisibilité et de non-agression’’ […]. Comment notre amitié a-t-elle pu survivre aux silences et aux affrontements, traverser l’épreuve de la différence, faire du désaccord radical ‘’ce qui nous oblige à rester ensemble’’, devenir une ‘’amitié dialectique’’, semblable à celle qui te reliait à Pierre Vadeboncoeur, celle de ‘’deux êtres qui savent, chacun pour soi, que l’autre vit dans un monde qui n’est pas le sien, et qui acceptent sereinement qu’il en soit ainsi’’ ? La réponse que tu donnes a la justesse du paradoxe lié au processus même de la connaissance qui est aussi celui de l’amitié : plus nous connaissons quelque chose, plus l’inconnu grandit, plus nous sommes liés à quelqu’un que nous aimons, plus la distance entre nous grandit et nous rend ‘’son identité de plus en plus énigmatique, sa vérité de plus en plus insaisissable, et toutes deux, pourtant, toujours plus irremplaçables’’. C’est ainsi que sans avoir cessé d’être soi, sans avoir renoncé à incarner la vérité qui nous a été confiée, sans nous être dérobés ‘’à cette force aveugle qui, sans que nous le sachions, nous façonne et nous oriente de manière si imprévisible et, à partir des mêmes matériaux, fait tel visage à l’un et tel autre à celui-là’’, nous nous sommes si bien perdus de vue que nous en sommes venus à ne plus voir que le monde qui surgit entre nous des pôles contraires dont nous avons la garde, à voir que la distance qui nous sépare est aussi le chemin qui nous relie, que l’existence de l’autre à l’autre bout du chemin nous libère de nous-mêmes, du noyau dur de notre être […]. Don Quichotte et Sancho tiennent chacun un bout du monde pour ne pas qu’il s’écroule dans le non-sens ou pour en retarder la chute. […] Ce qui nous relie désormais, ‘’ce lien entre nous, c’est certain, qui ne se brisera qu’avec la mort’’, n’est-ce pas au fond la fidélité à l’enfance, à ce que nous étions lorsque nous n’étions pas encore sûrs d’être quelqu’un, fidélité à cette affinité élective qu’aucun désaccord ne peut plus effacer, car elle ne repose plus sur ‘’les ressemblances de tempérament ou les communautés de vues ou de goûts’’, mais sur ce désir d’être autre, que l’autre a éveillé en nous, et qui a donné à chacun la force d’être soi en imitant, en admirant l’autre ?”
    
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      “Et les champs de l'art, de l'histoire, des sciences humaines, du savoir éthique, de la philosophie et, en ultime instance, du langage lui-même ont voulu montrer que l'immersion de l'interprète dans le sens qui le concernait ne portait pas préjudice à la justesse, à l'adéquation de la compréhension, mais qu'elle en était une condition essentielle. Fermer les yeux sur cet ''aspect herméneutique'' du sens, c'est succomber au fétichisme de la science moderne et à un simulacre d'objectivité. C'est manquer le ''là'' essentiel de la compréhension et se refuser à la vigilance qui incombe nécessairement à l'être situé dans le temps. [...]
L'aspect universel de l'herméneutique est donc celui de la finitude. Banal, dira-t-on ? Peut-être, mais il se pourrait que les plus grandes vérités de la philosophie (il y en a peu) soient aussi très banales. Mais ce rappel de la finitude est important si l'on veut contrer la propension de la compréhension à se laisser séduire par des simulacres d'infinité qui lui font oublier sa finitude. L'objectivation de la science moderne est une des figures de cet oubli de la finitude. Le savoir d'objectivation veut justement effacer le « là » de toute compréhension et de tout éveil à l'être au nom d'un savoir dominateur et certain, et certain parce que dominateur. Il serait dérisoire de vouloir s'objecter à ce modèle de savoir là où il est légitime. Il est cependant nécessaire de contester son universalisation lorsqu'elle déforme les modes de savoir et d'expérience qui sont ceux où la finitude du « là » est constitutive du sens à comprendre et de la vigilance qu'exige sa pénétration. C'est le sens du rapport de la finitude chez Gadamer.”
― INTRODUCTION À HANS-GEORG GADAMER
  L'aspect universel de l'herméneutique est donc celui de la finitude. Banal, dira-t-on ? Peut-être, mais il se pourrait que les plus grandes vérités de la philosophie (il y en a peu) soient aussi très banales. Mais ce rappel de la finitude est important si l'on veut contrer la propension de la compréhension à se laisser séduire par des simulacres d'infinité qui lui font oublier sa finitude. L'objectivation de la science moderne est une des figures de cet oubli de la finitude. Le savoir d'objectivation veut justement effacer le « là » de toute compréhension et de tout éveil à l'être au nom d'un savoir dominateur et certain, et certain parce que dominateur. Il serait dérisoire de vouloir s'objecter à ce modèle de savoir là où il est légitime. Il est cependant nécessaire de contester son universalisation lorsqu'elle déforme les modes de savoir et d'expérience qui sont ceux où la finitude du « là » est constitutive du sens à comprendre et de la vigilance qu'exige sa pénétration. C'est le sens du rapport de la finitude chez Gadamer.”
― INTRODUCTION À HANS-GEORG GADAMER
 
      “Oui, la vie m’a traversée, je n’ai pas rêvé, ces hommes, des milliers, dans mon lit, dans ma bouche, je n’ai rien inventé de leur sperme sur moi, sur ma figure, dans mes yeux, j’ai tout vu et ça continue encore, tous les jours ou presque, des bouts d’homme, leur queue seulement, des bouts de queue qui s’émeuvent pour je ne sais quoi car ce n’est pas de moi qu’ils bandent, ça n’a jamais été de moi, c’est de ma putasserie, du fait que je suis là pour ça, les sucer, les sucer encore, ces queues qui s’enfilent les unes aux autres comme si j’allais les vider sans retour, faire sortir d’elles une fois pour toutes ce qu’elles ont à dire, et puis de toute façon je ne suis pour rien dans ces épanchements, ça pourrait être une autre, même pas une putain mais une poupée d’air, une parcelle d’image cristallisée, le point de fuite d’une bouche qui s’ouvre sur eux tandis qu’ils jouissent de l’idée qu’ils se font de ce qui fait jouir, tandis qu’ils s’affolent dans les draps en faisant apparaître çà et là un visage grimaçant, des mamelons durcis, une fente trempée et agitée de spasmes, tandis qu’ils tentent de croire que ces bouts de femme leur sont destinés et qu’ils sont les seuls à savoir les faire parler, les seuls à pouvoir les faire plier sous le désir qu’ils ont de les voir plier.”
    
― Putain
  ― Putain
 
      “Il se peut que la beauté naisse quand la limite et l'illimité deviennent visibles en même temps, c'est-à-dire quand on voit des formes tout en devinant qu'elles ne disent pas tout, qu'elles ne sont pas réduites à elles-mêmes, qu'elles laissent à l'insaisissable sa part. Il n'y a pas de beauté, du moins pour nos yeux, dans l'insaisissable seul et il n'y en a pas dans les formes sans profondeur, complètement avouées, déployées. Mais les combinaisons de la limite et de l'illimité sont en nombre infini, d'où la variété de l'art.”
    
― La Semaison. Carnets 1954-1979
  ― La Semaison. Carnets 1954-1979
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