Status Updates From Millénium Blues

First French book for a while ❤️

Les pères partent. Ils nous abandonnent. Ils s’en vont ailleurs.
Les pères disparaissent toujours, d’une façon ou d’une autre. Parfois, ils meurent. Ils s’en vont trop tôt. Ils ne nous laissent jamais le temps.

Gustave Flaubert a écrit : « L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour ça que le présent nous échappe. »
Quelle phrase Gustave ! C’est si percutant. Ça me parle tellement que j’ai l’impression que tu l’as écrite pour moi.
C’est ça la littérature mon pote. La littérature, c’est le talent d’écrire mieux les mots qu’on ne ressent les choses. C’est pas donné à tout le monde.

Ne pas pardonner... et garder rancune, c’est comme se nourrir d’un poison et espérer que ce soit l’autre qui en meurt. 

« Nous, à notre époque, c’était un truc de vieille bourgeoise la chirurgie ! Maintenant, regarde ça ! À 20 ans, la meuf, elle est composée à 75 % de caoutchouc ! »

Malgré l’odeur, même dans la crasse, dans la misère, il y a toujours de la place pour la poésie.

J’ai pleuré Simone. Mais pas seulement.
J’ai aussi pleuré mémé. Enfin. Après tout ce temps.
Les chagrins à retardement sont les pires.

Après, j’ai pleuré sur ma solitude.
J’ai pleuré ma mère dont je n’étais plus aussi proche, j’ai pleuré les beaux jours, ceux où je pouvais, du haut de mes ridicules tristesses d’enfant, tout lui raconter, puis m’effondrer sur ses cuisses tandis qu’elle me caressait le dos.

Car à partir d’un certain âge, on a la meilleure excuse aux yeux de n’importe qui, la meilleure raison d’être en rogne, et cette raison est toute simple : la mort, qui se rapproche inévitablement. Tout le monde comprend qu’à la fin d’un long et pénible voyage, on a le droit d’être fatigué, en colère, et de cracher son exaspération à la face du monde.

Ce qu’il y a de bien à partir d’un certain âge, c’est qu’on peut humilier et insulter un médecin sans que personne n’émette aucune objection.

Je me suis mise à lui confier ce que Carmen pensait de lui, puis ce que ma mère pensait de lui, toute la méfiance qu’il leur inspirait.
Chaque fois, il écoutait attentivement.
Ensuite, il souriait et disait : « Tu sais, ma chérie, Dieu en personne ne fait pas l’unanimité. »
(Sous ses apparences modestes, c’est la phrase la plus narcissique qu’il m’ait été donné d’entendre, je m’en rends compte aujourd’hui.)

J’ai toujours eu l’impression que cette langue [le berbère] était pour mon père la langue du sentiment. Celle de la tristesse, de l’indignation, de la nostalgie.
Et peut-être que s’il me l’avait apprise, je détiendrais la clef. Car, comme je l’ai souvent dit, mon père était avare quand il s’agissait d’exprimer ses sentiments.

Je trouve qu’être moyen, c’est pire qu’être nul. (Il y a une certaine nonchalance dans la nullité, qui peut être séduisante.)
Personne ne se souvient des gens moyens.
On se souvient bien des dictateurs, des criminels, des injustes.
On se souvient des explorateurs, des génies, des héros.
Mais personne ne se souvient des moyens. Les moyens sont anonymes et insignifiants.

Au lycée, j’avais l’impression d’être la seule élève à ne pas savoir, la seule à ne rien envisager. J’aurais voulu avoir une vocation, une ambition, un rêve. Mais rien de tout ça. Je me levais, matin après matin, avec un objectif médiocre : tenir jusqu’à la fin de l’année scolaire.

Quand elle m’engueulait, elle finissait par dire :
« Tu crois que c’est ça la vie que je voulais ? Hein ?! »
Comme si les gens avaient la vie qu’ils voulaient. Pff.
D’ailleurs, même si on leur donnait la vie qu’ils voulaient, ils demanderaient à en changer. Au fond, peu importe la vie qu’on nous donne à vivre, on en fait n’importe quoi.

Je l’entendais dire ça à longueur de temps.
« J’ai le mal de mer. Ça me donne le mal de mer. Bla bla bla. »
Elle le disait pour un oui ou pour un non.
C’était son expression fétiche.
Et moi, en réalité, ce que je l’entendais dire, c’était : « mal de MÈRE ». (J’ai le mal de mère ? J’ai mal d’être mère ? J’ai du mal à être mère ?) Je ne sais pas. Psy, c’est un métier.

"Refaire sa vie"
Est-ce qu’il existe une expression plus stupide que ça ?
On ne refait jamais sa vie. On la continue, tant bien que mal, en boitant, la figure pleine de cicatrices.

– Bon, écoute-moi chérie, mange bien surtout, s’il a rien au frigo ou dans les placards, tu lui demandes de te commander une pizza [...]
Deux ou trois parts de pizza plus tard, après avoir entendu : « Ça suffit avec la pizza ! Tu vas finir par ressembler à une truie ! », je finissais par m’assoupir sur le canapé convertible qu’on ne s’embarrassait même plus à déplier.

Il me regardait longuement et soupirait en hochant la tête : « Si au moins tu t’arrangeais un peu… Toi, non, t’essaies même pas de t’arranger. »
Il disait souvent : « Marche comme une fille. »
J’ai gardé ça longtemps en tête, Marche comme une fille.
Un jour, il l’a tellement répété que j’ai fini par lui répondre en hurlant : « C’EST CE QUE J’ESSAIE DE FAIRE !!! »